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Jonveaux. Nous possédons ainsi une première esquisse du pays qui fut le berceau de l’Islam.

Tout est curieux et presque énigmatique dans ce voyage, à commencer par le voyageur,. M. Palgrave nous déclare qu’au moment où il l’entreprit, il était lié avec l’ordre des jésuites, « si célèbre dans les annales de la philanthropie généreuse et dévouée. » Il rappelle avec gratitude que les fonds nécessaires lui ont été libéralement fournis par l’empereur des Français. Était-il donc chargé d’une mission religieuse ou d’une mission politique ? Ou bien se proposait-il simplement de contribuer aux progrès de la civilisation en portant la lumière sur une région obscure qui était demeurée si longtemps fermée aux regards de l’Europe ? Cédait-il à l’attrait de l’inconnu et à l’esprit d’aventure ? Il y a là un voile qui a singulièrement intrigué les Anglais, fort étonnés de voir dans cette affaire le nom des jésuites et la cassette de l’empereur. — Peu nous importe. La déclaration sincère, quoique incomplète, de M. Palgrave au sujet de sa liaison avec les jésuites peut nous inspirer quelques doutes sur l’impartialité du voyageur en matière religieuse, et c’est là une précaution très essentielle ; mais pour le reste nous n’avons qu’à profiter des renseignemens que le revenant d’Arabie nous rapporte à pleines mains et qu’il a réunis dans une relation très attachante. M. Palgrave est un lettré d’un rare mérite. Il écrit bien, et l’on sent qu’il décrit juste. Il ne suffit pas qu’un voyageur ait traversé de grandes étendues de pays, affronté mille morts, récolté la plus ample moisson de choses nouvelles. Ce dévouement de chaque heure, cette science si péniblement acquise, cette expérience lentement amassée, tout cela est perdu pour nous, si la relation est imparfaite et plate. M. Palgrave est un voyageur complet. Il a l’observation prompte, le style rapide et entraînant, l’esprit, le trait. On le suit sans fatigue à travers les multiples péripéties de son voyage ; nous pouvons donc le prendre pour guide en essayant une courte excursion dans le centre de l’Arabie.


I.

Sous quel prétexte et dans quel costume un étranger peut-il aborder les populations de l’Arabie ? La question est importante. Le succès du voyage, la vie même du voyageur en dépend. Il va sans dire que la connaissance approfondie de la langue, des mœurs et de la religion du pays est une condition indispensable ; puis on doit absolument dissimuler son origine européenne. L’Européen que l’on viendrait à découvrir serait traité comme un espion, et il n’irait pas loin en pays arabe. Quelques voyageurs ont pris la qualité et le costume de derviches, espérant obtenir ainsi la confiance