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et le respect des populations. Le procédé a quelquefois réussi, mais il est scabreux. Un faux derviche est exposé à se trahir ; la moindre inadvertance le démasque et le livre sans merci au fanatisme indigné des fidèles. Du reste, il n’est point nécessaire d’être musulman ou de le paraître pour circuler en Arabie. M. Palgrave déclare, avec l’autorité de son propre exemple, que la qualité de chrétien n’est point pour les habitans de la péninsule un motif de répulsion, ni même de défiance. Aux yeux des ignorans, le chrétien est une sorte inférieure de musulman, dont la foi déchue, mais non éteinte, n’est plus éclairée que faiblement par la lumière d’Allah. Quant aux Arabes d’instruction plus relevée, ils savent qu’il y a dans les domaines du sultan des tribus qui professent un autre culte, et ils acceptent les chrétiens, sinon comme des coreligionnaires, du moins comme des compatriotes. On peut donc ne point abdiquer la qualité de chrétien. Reste la profession. Tout bien considéré, les meilleurs passeports sont ceux de négociant et de médecin. Le négociant arrive avec ses ballots de marchandises ; il vend, il achète ; s’il ne vend pas trop cher et s’il paie en bonne monnaie, on le tient pour un homme sérieux qui ne saurait, penser à mal, et la route s’ouvre libre devant lui. Quant à la qualité de médecin, elle est privilégiée ; elle donne accès partout, même auprès des femmes ; elle est commode, et il lui suffit d’un mince bagage. Une boîte à médicamens, quelques fioles savamment étiquetées, et surtout bien bouchées, car la chaleur du climat fait évaporer très promptement les meilleurs élixirs, un peu d’aplomb devant les ignorans, un facile programme de conseils hygiéniques qui sont bons à suivre en tous pays, avec cela un voyageur intelligent et prudent peut se présenter comme médecin, promettre la guérison à un certain nombre de malades qui se guériraient tout seuls et passer pour un savant. M. Palgrave prit donc la qualité de médecin ; son compagnon, un Syrien catholique, prit le rôle plus humble de négociant, sauf à usurper quelquefois celui d’élève en médecine. Ce fut ainsi que, le 16 juin 1862, les deux voyageurs partirent de Maan, petite ville située sur les frontières de Syrie et d’Arabie, pour se diriger vers le sud-est, avec des guides, une escorte de Bédouins à l’aspect peu rassurant et une bande de chameaux qui portaient tout, hommes et marchandises, y compris une grande provision de café. Ils avaient adopté les vêtemens de la classe moyenne de Syrie, c’est-à-dire une longue tunique de toiles le pantalon flottant, de larges bottes de cuir rouge et le mouchoir de couleur enroulé autour de la tête. Des toilettes plus riches, dignes d’un docteur émérite et d’un négociant respectable, étaient cachées au fond des bagages. Pour le moment, il convenait de ne point trop éblouir la cupidité de l’escorte et de se contenter d’un