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plus homicide de ce siècle, puisqu’elle comprend ces fatales années (1859-1855) pendant lesquelles le choléra et la guerre ont accru à ce point la mortalité que, pour cette fois, le chiffre des décès a dépassé celui des naissances. Loin de s’accroître pendant ces deux années, la population a diminué. Il était mort en moyenne de 1851 à 1853 801,827 individus par an, il en mourut en 1854 992,779, et en 1855 937,942, c’est-à-dire, pour les deux années réunies, 326,067 de plus que la moyenne des années précédentes. Comment le chiffre de la vie moyenne a-t-il pu alors atteindre son maximum ? C’est que 100,000 soldats sont morts dans la campagne de Crimée, soit 100,000 individus âgés de 20 à 27 ans, tandis que la conscription nous ayant enlevé coup sur coup deux contingens de 140,000 hommes, le déchet des naissances a atteint le chiffre moyen de 162,676, soit 813,380 naissances de déficit pour les cinq années. Souhaitons que le chiffre de la vie moyenne entendu de cette façon ne s’élève jamais plus dans notre pays.

Ce qu’il nous importe de voir s’élever, c’est le chiffre de la vie probable. La vie probable d’un individu d’un âge quelconque est égale au nombre d’années qui doivent s’écouler pour que le nombre des vivans du même âge que lui soit réduit de moitié. Si, par exemple, il faut quarante ans pour qu’il ne reste plus que 5,000 enfans sur 10,000 venus au monde la même année, l’âge probable de ces enfans sera de quarante ans. Les probabilités de vie à compter du jour de la naissance ont-elles subi en France quelque variation heureuse ? L’étude comparée des recensemens de 1851, 1856, 1861, nous permet d’affirmer que la durée de la vie probable n’a presque pas varié depuis environ un demi-siècle ; elle n’a diminué un peu en 1861 que pour les adultes de 20 à 40 ans, circonstance imputable sans doute aux guerres de Crimée et d’Italie ; car les probabilités de vie diminuent nécessairement à mesure que la proportion des décès augmente.

La France, sous ce rapport occupe en Europe le troisième rang, parmi les nations les plus favorisées ; sur 10,000 habitans, elle en perd annuellement 238, la Belgique n’en perd que 221 ; l’Angleterre, plus heureuse encore, n’en perd que 220[1]. il n’en est pas de même de la Prusse et des pays allemands ? là, bien que la population aille en augmentant sans cesse comme en Angleterre, le chiffre annuel des décès est relativement plus élevé qu’en France. Ce n’est donc pas aux vides que créerait parmi nous une mortalité annuelle excessive qu’il faut attribuer l’extrême lenteur de l’accroissement numérique de notre nation. Ce fait désastreux n’est

  1. Tous ces chiffres se rapportent à la période de 1800 à 1863.