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reur, c’est le souvenir du déshonneur de sa maison. À la vérité, il ne peut pas s’agir ici des désordres de la première Julie, depuis dix ans éloignée de Rome ; mais ce scandale n’est pas le seul qui se soit produit dans le palais du réformateur des mœurs publiques. Malgré l’exemple terrible qu’il avait donné, les mêmes fautes se renouvelèrent, et il fallut recourir aux mêmes châtimens. Auguste eut à punir sa petite-fille, la seconde Julie, qui avait imité la conduite de sa mère. Elle fut accusée d’adultère avec un jeune homme de grande maison, Silanus, et reléguée dans une ville d’Italie où elle vécut encore vingt ans. Or l’époque où son crime fut découvert et puni est précisément celle de l’exil d’Ovide. Cette coïncidence ne nous permet-elle pas de supposer que c’est aux amours de Julie et de Silanus qu’Ovide a été mêlé, et que nous tenons la cause véritable de la colère d’Auguste contre lui ?

Ce fait une fois admis, tout s’explique. Les quelques mots échappés au poète pour sa justification deviennent clairs ; ils nous laissent entrevoir de quelle façon il est entré dans cette intimité et quelle place il y a tenue ; recueillons-les avec soin pour essayer de jeter quelque jour sur cette ténébreuse histoire.

Il n’est pas difficile d’imaginer comment se nouèrent ces relations qui l’ont perdu. « Ce sont mes vers, dit-il, qui, pour mon malheur, ont fait souhaiter aux hommes et aux femmes de me connaître ». On comprend que Silanus et Julie, dans l’ardeur d’une affection partagée, aient désiré se lier plus étroitement avec le poète des Amours et de l’Art d’aimer. Ce désir d’une petite-fille de l’empereur était un ordre. Ovide obéit volontiers et se félicita sans doute d’une liaison qui le rapprochait du maître ; mais comment ne prévit-il pas les dangers qu’elle pouvait entraîner pour lui ? Comment l’exil de la première Julie, la mort d’Antoine, tous ces terribles souvenirs qu’on ne pouvait pas oublier, ne lui ont-ils pas appris à se tenir sur ses gardes ? Il comprend lui-même que son imprudence fut étrange, et il essaie de nous l’expliquer. « Ma première faute, dit-il, fut une erreur », et ce mot d’erreur revient sans cesse dans ses vers. Il veut dire sans doute qu’il se trompa d’abord sur la nature de l’affection de Julie pour Silanus, et qu’il la crut moins coupable qu’elle ne l’était.

J’avoue qu’il m’est bien difficile de le croire sur parole. Comment supposer qu’un homme aussi clairvoyant dans ces sortes d’intrigues, qui en avait écrit la théorie et qui en connaissait la pratique, se soit laissé abuser par des personnes qui, le sachant peu sévère, n’avaient pas de raison de se cacher devant lui ? C’est en vain que pour nous convaincre il accuse sa simplicité et répète plusieurs fois qu’il n’était qu’un sot : il y a des gens qui ne parviendront jamais à se faire passer pour naïfs. En