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assez tempérée. Il en vint même, quand il vit qu’elle ne réussissait pas à le sauver, à ne plus lui cacher sa mauvaise humeur. « Tu veux que je te dise ce que tu dois faire ; ne le demande qu’à toi-même : tu trouveras facilement la réponse, si tu veux la trouver. Je t’ai louée bien souvent dans mes vers ; peut-être se demandera-t-on plus tard si tu mérites ces éloges. Prends garde que l’envie n’ait le droit de répondre : Cette femme n’a rien voulu faire pour le salut de son mari ». Je sais que le malheur rend injuste, cependant l’amertume et la persistance de ces plaintes laissent croire qu’elles pourraient bien être fondées. On n’apprenait pas le dévouement auprès de Livie, et il est bien possible qu’instruite à cette école la femme d’Ovide ait plus songé à ménager son influence qu’à défendre son mari.

Toutes ces supplications d’Ovide à sa femme et à ses puissans amis ne sont rien, on le comprend, auprès de celles qu’il adresse à Auguste. Il le flattait déjà avec bassesse avant sa disgrâce ; il ne garda plus aucune pudeur quand il fut malheureux. Ce n’est pas assez de le mettre au-dessus des héros de l’antiquité ; il lui sacrifie sans scrupule tous les dieux de l’Olympe. S’il le compare à Jupiter, c’est pour ajouter aussitôt que l’un est un dieu imaginaire, tandis que l’autre est un dieu visible. Le jour où son ami Cotta lui envoie les images de l’empereur et de sa famille est un jour de fête pour cette pauvre maison de Tomi. Le poète ne se lasse pas de les contempler. Il leur construit une chapelle ; il leur fait dévotement sa prière. « Ma tête tombera de mes épaules, mes yeux sortiront de leurs orbites, avant que je souffre, ô divinités chéries, que vous me soyez arrachées. Vous êtes le port et l’autel de mon infortune. Si le Gète vient pour me tuer, il vous trouvera pressées sur ma poitrine ». C’est le délire de l’adulation. Il a pourtant des flatteries plus savantes encore et plus raffinées. Croirait-on que les vertus d’Auguste qu’il célèbre le plus volontiers sont précisément sa clémence et sa bonté ? Tous les malheurs qui le frappent ne l’empêchent pas de dire « qu’il n’y a rien dans l’univers de plus doux que César ». Jamais il ne s’est plaint à lui d’avoir été trop rigoureusement traité. Au lieu de lui reprocher son exil, il le remercie de lui avoir laissé la vie. « Je craignais tout, lui dit-il, parce que j’avais tout mérité ; mais ta colère a été moins grande que ma faute ». C’est tout à fait ainsi que dans les monarchies de l’Orient il est dans l’étiquette que la victime commence par demander pardon au bourreau.

Quelque indulgence que nous ayons pour un si grand malheur, ces flatteries honteuses, cette attitude bassement résignée, nous répugnent. On les lui reprochait déjà de son temps, et il répondait avec une franchise qui nous désarme : « Dites, si vous le voulez,