Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils se creusent la tête pour en acquérir les premiers élémens ; mais là comme partout plus les gens sont pauvres, plus ils répugnent à envoyer leurs enfans à l’école. Or, la pauvreté étant l’habituelle condition de ces familles, l’insouciance à ce sujet peut passer pour un trait caractéristique des mœurs de la contrée. On a toujours quelques objections contre la fréquentation des écoles. Quand ce n’est pas l’éloignement de la classe, l’état des routes, la nécessité du travail dans les champs, c’est l’absence de vêtemens convenables. Une intervention bienveillante lève-t-elle cette dernière difficulté, on trouve encore dans un apparent oubli le moyen de se soustraire à la parole donnée de cette façon, le mal se perpétue ; la gêne entretient l’ignorance, si féconde elle-même en misères. J’ai vu des familles de métayers composées de trois générations, et dans ces nombreuses tribus nul ne savait lire ou écrire. Le nombre des écoles s’augmente ici cependant peu à peu, comme il s’augmente partout ; grâce à des efforts bien dignes d’étages ; mais le nombre des élèves ne s’accroît point dans la même proportion[1]. Il y a telle commune placée non pas au milieu d’un pays perdu, mais dans le plus proche voisinage, du chef-lieu du département, dont l’école ne renferme pas une quarantaine d’enfans, garçons et filles, pour une population de douze cents habitans. Aux environs du château de Montaigne, la situation s’améliore plus sensiblement, grâce à l’aide et aux bons conseils. Seule pour le moment dans ce pays, l’action des influencés locales peut amener ces résultats un peu significatifs. Apathique par habitude plutôt que par nature, la population rurale du Périgord se montre rebelle à tout progrès, et il est bien rare de trouver chez les métayers le moindre désir d’améliorations quelconques. On déchire le sol, on y jette la semence suivant la routine traditionnelle, et c’est tout. Les méthodes les plus primitives, les instrument les plus grossiers restent en faveur. Ce n’est pas qu’on se révolte contre les conseils ; mais, à peine entendus, les voilà oubliés. La parole glisse sur ces esprits ignorans, ou plutôt elle est comme la graine de la parabole, que les oiseaux du ciel enlèvent avant qu’elle ait eu le temps de germer. Si l’on savait lire, on retiendrait mieux ce qu’on aurait vu dans un livre ; on y croirait d’ailleurs davantage, l’autorité du précepte imprimé dépassant toujours dans l’opinion des masses l’autorité d’une recommandation purement verbale.

Dans la vie des familles, la même tendance se reproduit sous plus d’une forme. De prévoyance un peu réfléchie, vous n’en découvrirez nulle part. On se montre économe, c’est, vrai, mais par

  1. En 1866, le nombre des écoles dans le département était de 822, dont 339 pour les enfans des deux sexes, 212 pour les garçons seuls et 271 pour les filles. Il restait 29 communes qui en étaient dépourvues.