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moderne, à la condition toutefois de s’occuper beaucoup plus de l’humanité et de laisser au second plan ces friperies secondaires qui paraissent avoir maintenant tant de charmes pour lui. S’il persiste dans la voie dangereuse où il risque de compromettre une habileté déjà recommandable, il pourra finir par se contenter d’imiter M. Ricardo de Los Rios, et s’imaginer qu’il a fait un tableau en peignant d’une brosse fort habile et très coloriste un vêtement de polichinelle oublié sur une chaise chez un costumier. M. Roybet vaut mieux que cela ; si nous sommes sévère pour lui tout en constatant ses précieuses qualités, c’est que nous sommes en droit d’attendre et d’exiger beaucoup d’un talent qui, pour être remarquable, n’a besoin que d’être mieux dirigé.

M. Ribot ne varie pas dans ses goûts, et il reste fidèle au culte exclusif qu’il a voué à Ribeira. De l’étude à l’imitation, de l’imitation au pastiche, il y a une distance que M. Ribot a franchie sans hésiter. On a eu beau le mettre en garde contre une tendance fâcheuse, il n’a voulu rien écouter, et aujourd’hui encore il nous montre un tableau qui a l’air d’une copie servile d’une toile de l’Espagnolet ; rien n’y a été omis, pas même la patine noire que l’âge a dû lui donner. De tout temps, M. Ribot a vu noir ; ses premiers petits Marmitons, malgré leurs vêtemens blancs, paraissaient s’être roulés à plaisir sur du poussier de charbon. On dirait que l’artiste, après avoir terminé son tableau, le couvre d’un glacis de noir d’ivoire qui salit les parties lumineuses, rend indistinctes les parties ombrées et noie toute la composition dans un ton triste, malpropre et absolument arbitraire. Sous ce vernis en deuil, on sent cependant des colorations puissantes qui, pour apparaître dans tout leur éclat, n’auraient besoin que d’être débarrassées de cette couche de cirage qui les déshonore et les détruit. Si M. Ribot procède ainsi de parti-pris pour trouver sans grand effort une originalité tapageuse, il est bien coupable ; s’il voit réellement toute la nature à travers un crêpe noir, il est malade et fera bien de consulter un oculiste. Le Supplice des coins dénonce une science peu commune une observation très vraie de la nature, une grande brutalité d’impression, une habileté de brosse extraordinaire et une fermeté de dessin très recommandable ; pourquoi faut-il qu’on soit forcé d’oublier toutes ces belles qualités pour ne plus voir que ce ton d’encre uniforme qui est répandu sans motif appréciable sur la toile ? On voudrait nettoyer tout cela afin, de voir les chairs si bien modelées, les draperies si habilement agencées, reparaître avec les nuances naturelles qui les feraient valoir. M. Ribot ressemble fort aux princes de Mme d’Aulnoy. A leur naissance, les fées s’empressent de les douer ; mais la fée maligne, qu’on avait oublié d’inviter, accourt : Vous aurez toutes les qualités, mais vous ne saurez