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conscience à l’aise, la récompensent par des largesses judicieuses envers les interprètes de la loi. Parfois malheureusement, surtout quand c’est une caravane qui a été prise, les captifs sont des sunnites turcs ou ouzbegs ; alors, pour sauvegarder la règle, les malheureux prisonniers sont battus, assommés, torturés, jusqu’à ce qu’ils consentent à abjurer et à se déclarer chiites, moyennant quoi leur vente est parfaitement légitime. La chose est encore plus compliquée quand c’est un Hindou qui est pris. Pour attirer au Turkestan les riches caravanes de l’Inde, les anciens émirs avaient accordé aux sectateurs de Çiva et de Bouddha le privilège de l’inviolabilité en voyage, et ce privilège avait été respecté jusqu’à ces derniers temps. Aujourd’hui, quand un Hindou est pris, le « blanchissage » se fait de la façon la plus expéditive : on le roue de coups, on le force à se faire d’abord musulman, puis musulman chiite, et tout est en règle.

Les différends de la Russie avec Khiva avaient commencé à l’occasion de sujets russes enlevés par les Turcomans et vendus sur les marchés khiviens ; mais maintenant le khan de Khiva, châtié et contenu, a cessé de donner des sujets de plainte, et il n’y a plus que les Turcomans de la frontière du Khoraçan qui osent encore parfois enlever quelque matelot russe à l’angle sud-est de la Caspienne. Pour les tenir en bride, la Russie a fait occuper en face de la ville persane d’Asterabad l’îlot stérile d’Achourada, où elle maintient une flottille d’observation et fait avec impartialité la police de ces parages difficiles. Il y a dix ans, les Turcomans Teke, qui avaient eu la malheureuse idée d’enlever deux ou trois Russes, durent les rendre après avoir éprouvé pour la première fois, à leurs dépens, la portée des carabines européennes. En 1861, un goum de ces pillards avait fait une rafle de paysans persans près d’Asterabad. Le commandant d’Achourada, dans un moment de généreuse indignation, débarqua une poignée d’hommes qui poursuivirent les ravisseurs, leur infligèrent une rude correction et délivrèrent les prisonniers. Ce serait bien mal connaître les Persans et leur lâcheté fanfaronne que de croire qu’ils furent reconnaissans envers l’énergique voisin qui accordait à leurs nationaux une protection aussi opportune. Les ministres corrompus et cupides de Téhéran s’inquiétaient peu que quelques milliers de paysans fussent menés la corde au cou au marché de Bokhara ; mais il était pour eux de la plus haute importance que le peuple persan et le public européen continuassent à ignorer que le gouvernement du chah in chah (roi des rois) était parfaitement impuissant à protéger ses sujets contre quelques bandes mal armées. Une protestation bruyante fut adressée à Pétersbourg et communiquée au corps diplomatique contre