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d’exaspération les passions populaires, au lendemain du jour où l’honnête Lincoln, son rival dans la lutte, était traîtreusement assassiné. Eh bien ! quels que soient les défauts d’esprit et de caractère qu’ait montrés en d’autres circonstances le tailleur-président, ce chef d’état a eu le glorieux mérite d’amener peu à peu le peuple américain à vaincre sa colère. La couse de la république ne sera point tachée par une vengeance sanguinaire. Jefferson Davis ne sera point immolé aux haines de parti qui pouvaient contre lui se couvrir si aisément des apparences de l’impitoyable loi du salut public. L’énergie des convictions, le désintéressement, la capacité et l’infortune sont respectés dans Jefferson Davis ; on respecte en lui aussi les sympathies persistantes des populations du sud, qu’il a conduites à une si triste catastrophe. L’ancien président des états confédérés a cessé d’être un prisonnier de guerre et d’état. Il a été remis à la justice ordinaire de la Virginie, et le premier acte de la juridiction naturelle a été de le faire jouir de cette immunité de l’habeas corpus qui est le noble privilège des races saxonnes. Il a été mis en liberté jusqu’à l’époque de son procès, ajourné à trois mois, sous une caution de cent mille dollars souscrite avec empressement par vingt citoyens de toutes les opinions. Pour être juste envers la république américaine, il faut tenir compte du beau rôle qu’a joué dans cette circonstance le propriétaire et le rédacteur en chef de l’un des principaux journaux des États-Unis, M. Horace Greeley. Avec quel frivole dédain la grande presse américaine n’est-elle point limitée dans les cercles conservateurs de l’Europe ! Il n’y a point cependant dans notre hémisphère de journaux qui possèdent l’influence de la Tribune de New-York ; il n’en est guère malheureusement qui paraissent capables d’exercer cette influence avec la générosité intelligente que vient de montrer le puissant journaliste américain. Le président Johnson eût été sans force pour rendre le droit légal à M. Jefferson Davis, s’il n’y eût été exhorté et aidé par des organes reconnus de l’opinion républicaine et radicale. Parmi les guides de cette opinion, il n’en est point qui ait donné plus de gages à son parti que l’éditeur de la Tribune. M. Greeley a été l’un des abolitionistes les plus ardens, les plus persévérans ; personne n’a défendu l’union, et combattu la sécession avec plus d’énergie. Il était l’antagoniste le plus convaincu et le plus véhément de la cause et des intérêts qui se personnifiaient dans Jefferson Davis, l’archi-rebelle. Or, une fois la victoire assurée, M. Greeley a porté toute la chaleur et la vigueur de sa propagande incessante du côté de l’indulgence et de la conciliation, non envers les intérêts, et les idées des vaincus, mais envers leurs personnes. Il demandait depuis longtemps la fin de la captivité arbitraire de Jefferson Davis. Ses excitation, infatigables sont venues à bout des résistances de l’opinion publique, et ont efficacement secondé les bonnes intentions du pouvoir exécutif. Enfin le jour où le premier chef de la révolte a été rendu à la justice ordinaire de son pays, M. Horace Greeley était à la barre de la cour de Richmond : lorsque