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et pourra s’en laver les mains. Il n’y avait point à hésiter, et ce n’était plus le temps de faire l’orgueilleuse. Diane transigea. Elle eut Chaumont-sur-Loire, une belle fiche de consolation, mais elle abandonna Chenonceau, son cher Chenonceau ; elle eut le crève-cœur d’y voir installée celle qu’elle haïssait non moins cordialement qu’elle n’en était haïe.

Chenonceau, lui, s’accommoda fort bien de ce changement. Reine ou favorite, peu importait : il était toujours entre les mains d’une femme amoureuse de lui et dès lors sûr d’être bien traité. Pour le moment, il est vrai, le deuil sévère de sa nouvelle maîtresse ne lui promettait pas des jours bien gais ; mais ce n’était qu’un temps à passer. De fait, ce fameux deuil ne se prolongea point outre mesure. Catherine trouva bientôt qu’elle avait suffisamment pleuré un si fidèle époux, et ce fut Chenonceau qu’elle choisit pour égayer son veuvage. La conspiration d’Amboise, quoique prévenue à temps, venait de jeter le trouble dans la cour. Sinistre présage au début d’un règne ! Il fallait distraire les esprits de cette sombre impression, il fallait éloigner la cour de cet air malsain, tout chargé encore de passions et d’inquiétudes. Catherine n’imagina rien de mieux que d’emmener François et Marie à Chenonceau, et le dernier jour de mars 1560 les échos de Civray et de Francueil retentirent des cris d’allégresse que poussaient « de leur seul instinct » toutes les femmes et tous les enfans du pays, à la vue de leur roi, « comme présageant la certaine félicité de son règne. » Ainsi s’exprime Le Plessis, témoin oculaire des « triomphes » de cette journée. En vérité, le chemin d’Amboise à Chenonceau devait offrir ce jour-là un curieux spectacle. Représentez-vous « tous les ouvriers bêcheurs, manœuvres et subjects de la terre, qui étaient près de neuf cents, se parquant en bataille, enseignes déployées et tambourins battans, au-dessus d’une croppe et colline, laquelle coustoyant la venue, semblait commander au grand chemin… » Leurs enseignes étaient de taffetas noir, « traversées d’un coing à l’autre d’un lambeau de taffetas blanc, couleurs aptes à la démonstrance et signifiance de deuil, et avaient lesdits ouvriers chacun en la main une grande perche blanche au bout de laquelle était attaché un rameau vert… Au pied des ormeaux, chênes et autres arbres, le sieur Lambert (c’était le capitaine du château) avait fait asseoir les femmes desdits ouvriers et subjects, ayant toutes la teste couronnée d’un grand et lourd chappeau à la rustique émaillé de mille couleurs… Outre que le chemin était tout semé et couvert de jonchée verte, de gros bouquets de viollettes, de girofflées et autres fleurs décentes et convenables à illustrer et réjouir la vue d’une si noble et sainte compagnie… »

Que dites-vous de cet appareil ? que vous semble de ces groupes