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aigri et point encore désespéré. Napoléon l’avait patiemment écouté ; c’était sa faute à lui de ne l’avoir pas su mieux persuader. Avec le temps peut-être y parviendrait-il, car si le génie de cet homme était prodigieux, son cœur aussi était excellent ; ce cœur, Pie VII s’imaginait en avoir trouvé le chemin, et se tenait pour assuré qu’il ne lui serait jamais entièrement fermé. Chose singulière et qu’à peine nous oserions avancer, si la preuve n’en devait jaillir presque à chaque page de ce récit, le charme que Pie VII s’était flatté d’exercer sur le nouveau chef de la France, c’était lui qui l’avait subi. Il y avait certainement une nuance de terreur dans cette étrange fascination, mais aussi un involontaire attrait alors profondément ressenti et depuis jamais entièrement effacé. Une sorte de tendresse, résignée et souffrante lorsque leurs rapports étaient interrompus, toujours ouverte à l’espoir et prompte à la confiance, quand l’occasion s’offrait de les reprendre, se mêla désormais aux sentimens de constante admiration que le souverain pontife ne cessa d’entretenir à l’endroit de ce grand homme non moins séduisant que redoutable, dont la bonne grâce avait en cette occasion si habilement tempéré les inflexibles refus, et qui, sans jamais rien éprouver des sentimens qu’il savait si bien inspirer aux autres, n’hésita point à tirer parti jusqu’au bout de l’affectueux ascendant qu’avec tant d’art il avait su conquérir sur l’inoffensif vieillard.

Sous peine de ne pas rendre suffisamment intelligibles les événemens qui vont maintenant se précipiter, il nous fallait, au risque de revenir un peu sur le passé, pénétrer plus avant que nous ne l’avions fait jusqu’à présent dans le caractère du saint-père, et préciser exactement les dispositions dont il était animé à l’égard de l’empereur des Français au moment même où, bien malgré lui, il allait devenir son adversaire. L’expérience nous l’apprend : quand la discorde vient à se mettre entre d’anciens alliés, tout l’effort de la lutte qui s’engage entre eux est uniquement dirigé vers les points faibles qu’aux jours de l’intimité on s’est mutuellement découverts. C’est là que de dessein prémédité sont portés les coups décisifs, et malheur à qui a donné le plus de prise contre lui !


II

Peu de temps après son retour à Rome, Pie VII avait convoqué le sacré-collège et rendu officiellement compte aux cardinaux (26 juin 1805) de son voyage en France. L’allocution pontificale rendue publique était empreinte de ce ton d’aimable placidité qui caractérisait les pièces directement émanées du saint-père. Il s’étendait avec une joie complaisante sur les sentimens de sincère