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nalité absolue. Ses poésies lyriques, dont la prose française est malheureusement incapable de rendre la beauté marmoréenne et l’harmonie musicale, fournissent à cet égard un témoignage certain ; elles proclament la spontanéité de ces regrets qui donnent à Hœlderlin l’air d’un étranger parmi ses contemporains. Il n’y a pas à en douter : quand il célèbre « les Forces souveraines du Ciel ; l’Océan, père antique des choses, l’Éther, âme du Monde, le Soleil, puissance sacrée qui éveille la vie, » ce ne sont point là pour lui de purs noms ou des réalités inanimées. Ces abstractions vivent, elles agissent, elles veulent, elles comprennent ; il ne leur manque, pour qu’on y reconnaisse les divinités helléniques, que les noms mythologiques et les aventures légendaires créées et développées de siècle en siècle par la tradition. L’éther, la lumière, sont des êtres bienfaisans qui parlent à l’imagination du poète, qui le pénètrent de respect et d’amour, surtout l’éther nourricier, qui nous abreuve avant même que nous touchions aux mamelles maternelles, vers lequel le brin d’herbe et le cèdre aspirent, où tous les êtres se baignent, qui épand sans mesure ses torrens inépuisables et circule dans les canaux les plus secrets de la vie.


« Favoris du ciel, les oiseaux heureux — habitent et se jouent sous les lambris éternels du père. — Il y a place pour tous, il n’y a point de sentier tracé, — grands et petits se meuvent librement dans la demeure illimitée. — Ils s’ébattent sur ma tête, et, gonflé d’un désir impatient, — mon cœur s’élance vers eux ; la patrie hospitalière — m’appelle de loin ; je voudrais gravir — les sommets des Alpes et de là crier à l’aigle rapide — de me saisir, comme il saisit l’enfant favori de Jupiter, — et de m’emporter dans les palais de l’Éther. »


Il serait bien facile de trouver dans le rôle universel que la science actuelle reconnaît à l’éther une justification de cet enthousiasme ; mais le poète fait mieux que de prêter sa langue au savant. Ses vers ne s’adressent pas au symbole d’un agent abstrait et plus ou moins passif, ils s’adressent à une puissance vraiment divine. Comment ne pas se rappeler ici les fonctions que la mythologie prête à Jupiter et qui lui assurent le premier rang parmi les dieux, ces fonctions qui l’identifient presque avec le ciel, que la lumière inonde, et avec l’air respirable, principe de toute vie ? « Vois-tu, dit un fragment d’Euripide, cette immensité sublime de l’Éther, qui enveloppe la terre de toutes parts ? C’est là Zeus, c’est là le Dieu suprême. » Si ce qu’il y a de plus insaisissable dans la nature s’empare à ce point de la pensée d’Hoelderlin, on conçoit que des réalités bien plus concrètes s’animent dans son imagination. La planète n’est pas seulement un être organique, elle est une personne qui a ses parens, ses enfans, sa famille, qui jouit et qui souffre, qui a ses