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alternatives de richesse et de pauvreté. Quelque part il peint la nature polaire, la terre ensevelie sous des voiles de neige, que les chauds embrassemens de l’Olympe ne parviennent plus à réveiller. Ne rien engendrer, n’avoir rien à couver d’un soin maternel, vieillir sans se voir renaître dans des enfans, c’est la mort ; « mais un jour viendra, s’écrie-t-il comme s’il devançait certaines théories géologiques de nos jours, un jour viendra où les baisers du soleil réchaufferont tes membres, où son souffle dissipera ton sommeil glacé. Alors, pareille au grain de blé enfoui, tu briseras ta dure enveloppe, le timide bouton du monde se déroulera peu à peu, ta force longtemps épargnée se déploiera dans les pompes enflammées du printemps, les roses brilleront et la vie bouillonnera dans l’avare septentrion. » La vie végétale a part aussi à ses adorations ; il y a sous chaque écorce un dieu silencieux. Dans la plus belle peut-être de ses poésies, un poète contemporain, un des rénovateurs du genre païen, M. V. de Laprade, s’attendrit sur la mort du chêne, dont la sève ensanglante la cognée meurtrière ; mais ce qu’on sent ici, c’est l’amour druidique, des forêts profondes, et avant d’arriver au bout on voit le poète se démasquer sans le vouloir et trahir une pensée qui n’a rien de païen. Hœlderdin salue les chênes, jaloux de leur force et de leur indépendance, comme s’il reconnaissait en chacun d’eux un ami.


« Je quitte les jardins et viens à vous, fils des monts, — les jardins où vit la nature, soumise et familière, — rendant soins pour soins, compagne de l’homme industrieux. — Mais vous, arbres souverains, debout comme un peuple de Titans, — dans ce monde assujetti, vous n’appartenez qu’à vous et au ciel, — qui vous nourrit et vous éleva, et à la terre, dont vous êtes nés. — Nul de vous n’est allé à l’école des hommes ; — d’un libre et joyeux élan, vous jaillissez de vos fortes racines, — pressés et confondus ; comme l’aigle sa proie, — vous saisissez l’espace d’un bras robuste, et vers la nuée — se dresse, dans sa hauteur sereine, votre couronne illuminée. — Chacun de vous est un monde. Comme les étoiles du ciel, — vous vivez, dieux indépendans, en une libre alliance. — Si je pouvais supporter l’esclavage, je n’envierais pas — cette forêt, et je me plierais sans révolte à la vie sociale. — Ah ! si rien n’enchaînait à cette vie mon cœur, — qui ne peut se déprendre d’aimer, je voudrais demeurer parmi vous ! »


On a beaucoup parlé du paganisme de Goethe, et il y a du païen sans doute dans cet amour dominant de la beauté plastique, dans cette intelligence profonde qui ressuscite dès qu’il lui plaît les plus vieux symboles de la mythologie, dans cette grâce tranquille qui a été l’étude de toute sa vie ; il y a du païen dans cette impassibilité olympienne, bien moins réelle toutefois qu’on ne l’a dit, qui lui a été tant reprochée. Si païen qu’il soit pourtant, Goethe, amoureux des sciences, expérimentateur passionné, observateur infatigable