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PROSPER RANDOCE.

et pour surcroît de bonheur elle venait de cueillir en se promenant des coquelicots dont elle avait orné sa tête. Je connais un peintre qui n’est content de ses tableaux que lorsqu’il a réussi, — c’est son mot, — à faire chanter ses couleurs. Mme d’Azado avait le droit d’être contente d’elle-même ; le rouge vif des coquelicots faisait chanter l’or de ses cheveux, la clarté de son front, le gris fauve de ses yeux, les nuances délicates de son teint et l’éclatante blancheur de son cou. Didier fut frappé de sa beauté comme il ne l’avait pas encore été ; il en éprouva comme une secousse. Il lui présenta les roses. — J’avais pensé, lui dit-il, qu’elles feraient bien dans vos cheveux ; je vois qu’elles arrivent trop tard.

— Donnez toujours, lui répondit-elle en souriant ; nous leur trouverons bien une place. Et ce disant elle voulut enlever les coquelicots pour les remplacer par les roses ; mais il l’en empêcha : — Gardez-vous de retoucher votre chef-d’œuvre, lui dit-il.

Ils se promenèrent le long de la terrasse en causant de choses indiiTérentes. Leurs propos étaient sans suite ; ils étaient préoccupés l’un et l’autre ; ils sentaient que quelque chose allait se passer, qu’il y avait un événement dans l’air. La soirée était divinement belle. Du zénith à l’horizon, le ciel offrait une vaste nappe de vapeurs orangées, rayées de longues bandes vertes ; au-dessus de Wyons, les rochers du Devès étaient glacés de pourpre ; l’Aygues, à l’issue du défilé, coulait sombre et unie comme un ruban de moire ; à l’un des coudes de la colline, elle rencontrait subitement les feux du couchant et les renvoyait en étincelles ; les bois d’oliviers qui dominent les Trois —Platanes étaient traversés, selon les accidens du terrain, par de longues traînées de lumière ; les premiers plans étaient dans l’ombre, les épaisseurs s’embrasaient, et l’on voyait des troncs et des feuillages obscurs se détacher sur des fonds d’or. Les regains avaient été fraîchement coupés ; l’air était imprégné d’un parfum pénétrant de lavande. La beauté de Lucile se mariant aux splendeurs du ciel et des bois, Didier sentit sa tête se prendre ; je ne dis rien de son cœur, j’ignore ce qui s’y passait.

Lorsqu’ils eurent atteint le berceau de buis, M me d’Azado s’assit sur un banc ; Didier prit place auprès d’elle, et l’instant d’après, sans trop savoir ce qu’il faisait, il se trouva à ses genoux. D’une voix émue, presque inquiète, elle le pria de se relever ; il ne parut pas l’entendre ; elle le regardait fixement, s’efforçait de lire dans ses yeux. En cet instant, il était le plus heureux des hommes ; il nageait dans l’extase ; ses vœux étaient comblés, l’apparition désirée était là, devant ses yeux, presque dans ses bras, — non pas une femme, mais un adorable fantôme, une divine vision. Tout à coup, enlaçant de ses deux mains la tête de la sylphide, il l’attira vers lui et déposa un ardent baiser sur ses lèvres. Les coquelicots