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limpide et chaude. Peut-être, dans la coloration de certaines parties, retrouverait-on une réminiscence des effets familiers à Decamps, mais il est bien difficile de toucher à l’Orient véritable sans se rapprocher par quelques points du maître qui l’a si bien approfondi et si exactement rendu. M. Joseph Palizzi n’a rien perdu, même dans les tons gris et les gammes sourdes, des qualités de coloriste qui ont commencé et fortifié sa réputation. Ses Bœufs en marche surpris par un ouragan dans les marais des Abruzzes citérieures ont cette grasse fermeté, qu’il possède à un degré supérieur. Comme tous ses compatriotes, il a le goût inné des couleurs voyantes et pourtant harmonieuses ; mais il n’eût été, je crois, qu’un peintre agréable de nuances habilement choisies, si l’exemple de Troyon ne l’avait poussé à l’étude très attentive de la nature. Il y a surpris une partie de la vérité, il s’est débarrassé du côté poncif et théâtral que l’école actuelle pousse en Italie aussi loin que possible, qui l’entraîne souvent hors du droit chemin, et impose au public peu éclairé des admirations parfois inexplicables. La preuve de ce que nous venons d’avancer se trouve dans le tableau de M. Ussi. C’est une grande machine comme tout bon écolier peut en faire après dix ans d’apprentissage, mais où l’on ne rencontre ni originalité, ni dispositions nouvelles, ni tendances particulières. Cela sent l’école, le modèle, la pose, l’académie ; cela ressemble à un bon tableau comme le discours latin d’un élève de rhétorique ressemble aux catilinaires de Cicéron, et cependant c’est à cette vaste et insignifiante toile qu’on a donné la médaille d’honneur. Pourquoi ? Sans doute parce que déjà elle a été exposée à Milan et à Londres. Les tableaux de MM. Pazini et Palizzi semblaient plus dignes d’une récompense exceptionnelle que cette composition pompeuse où l’art entre pour une part extrêmement restreinte.

C’est aussi à la vieille Italie que la Russie a demandé des maîtres qui, jusqu’à présent, n’ont que faiblement répondu à l’appel. Dans le pays où la peinture religieuse est hiératique, où les saint Jean et les saint Serge qui peuplent les iconostases sont faits, comme les anciennes figurations égyptiennes, selon une formule liturgique et invariable, l’art individuel et imaginatif n’a pas grandes chances de se développer de lui-même. Au lieu d’imiter simplement la nature, il cherche à la voir à travers des œuvres célèbres, et consacrées, et, ne trouvant pas autour de lui d’exemples dont il puisse s’inspirer, il va les chercher dans les pays où la tradition est restée vivante et respectée. En apercevant les tableaux de M. Reimers, il est facile de reconnaître que l’homme qui les a peints est un familier de l’Italie et qu’il a surtout été frappé par les maîtres coloristes. L’Enterrement, où l’artiste avait à lutter contre les difficultés