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tous les artistes exposans. Depuis cette époque, une série d’excellens portraits, un tableau remarquable, ont confirmé la réputation que le jeune peintre avait acquise dès son début. Il reste aujourd’hui un des meilleures peintres de portraits que nous connaissions. Il est maître en cet art difficile ; la pureté de son dessin et la fermeté de son coloris en font un artiste souvent en dehors de toute comparaison. M. Léon Kaplincki a aussi des qualités sérieuses, qu’il emploie à rappeler plastiquement les douleurs de sa patrie. A sa façon, il chante le super flumina, et l’on sent que sa pensée se reporte invariablement vers le pays des grandes plaines où l’on entend retentir le pas cadencé des soldats de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie. Nous avons eu ici même[1] l’occasion de dire ce que nous pensions du talent de M. Kaplincki ; il ne s’est pas amoindri depuis cette époque, et il est aujourd’hui un des honneurs de la Pologne moderne. M. Matejko a débuté à Paris il y a deux ans ; son Skarga prêchant devant là diète de Cracovie en 1592 avait des qualités et des défauts qui ont été signalés. Skarga prédisant aux nobles polonais la ruine de leur patrie n’était que la préface du tableau que nous voyons aujourd’hui et qui est intitulé la Diète de Varsovie en 1773. En fait, c’est la scène lugubre qui vit s’accomplir l’acte de partage. Par la composition et par l’exécution, cette toile est importante, et il faut s’y arrêter. M. Matejko était libre de choisir son sujet et de jeter le vieil anathème à la face de ses compatriotes. L’acte de partage du 18 septembre est impardonnable, mais il a été accompli par des seigneurs féodaux qui ont traité de puissance à puissance avec les trois souverains spoliateurs et qui croyaient bien plutôt abandonner leurs domaines particuliers que livrer leur patrie. L’instant est peut-être mal choisi pour peindre un tel tableau. La terre est rouge encore du côté de la Lithuanie, la Sibérie seule peut savoir combien ses prisons et ses mines renferment de Polonais ; c’est hier que l’on combattait ; la nouvelle et glorieuse insurrection, si cruellement réprimée, aurait dû, il me semble, faire tomber la brosse des mains de M. Matejko. A côté de ce reproche tout moral, il en est un autre, matériel et visible, que mérité l’œuvre de M. Matejko ; Je n’ai point de goût pour la diffamation historique, aussi je me garderai de citer les noms des personnages représentés par l’artiste ; mais en voulant faire un tableau qui fût tout à la fois un tableau d’histoire et un tableau allégorique, il a tellement embrouillé son sujet, qu’il devient à peu près inintelligible. Je m’en rapporte simplement au livret, c’est la Diète de Varsovie en 1773. Soit, je l’admets, puisque je vois le généreux

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1865.