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qu’il doit, s’il veut être élevé et fécond, s’adresser, aux plus hautes facultés de l’esprit. En ce sens, les maîtres belges nous donnent un exemple dont nous ferions bien de profiter, car nous pourrions en retirer un sérieux profit. Le nombre des artistes émiriens qui appartiennent à la Belgique n’est pas considérable ; mais, si restreint qu’il soit, il donne à cette école une valeur exceptionnelle. Tous les tableaux exposés ne sont pas des chefs-d’œuvre, tant s’en faut ; mais ils ont été aménagés avec tant de soin, dans une galerie particulière si bien disposée, sous un jour si parfaitement distribué, qu’il est impossible de ne pas admirer ce simple et convenable arrangement, et de ne pas regretter avec amertume que la France n’ait point su profiter de la leçon que lui donnaient ses libres voisins de la Belgique. Aussi, dès qu’on pénètre dans ce petit musée, on est saisi de recueillement, et l’on comprend que, pour faire valoir les beaux-arts, il faut les aimer, ce qui n’est point donné à tout le monde sur les bords de la Seine.

M. Henri Leys est un maître dans la haute acception du terme, car, à une tradition qu’il vénère, il mêle une originalité dont il a seul le secret, et qui le fait, au premier coup d’œil, reconnaître entre tous. Il est déjà célèbre parmi nous, et la grande médaille d’honneur qu’il a obtenue à l’exposition universelle de 1855 lui a prouvé le cas que nous faisions de son talent. Ceux qui ont vu et admiré les Trentaines de Bertal de Haze n’ont point oublié cet excellent tableau. M. Leys est invinciblement attaché, au passé, il en connaît les faits, les types, les costumes mieux que personne. il y a toujours un peu d’archéologie dans ses compositions, mais il l’emploie sagement, de manière à donner à son œuvre plus de vérité, et il ne mérite en rien le reproche que nous adressions plus haut à M. Alma-Tadema ; cependant, et tout en comprenant les motifs qui ont engagé le compatriote de Quentin Metsys à se consacrer presque exclusivement aux origines de son pays, je regrette qu’il n’ait pas essayé de rendre quelque sujet moderne et qu’il ne soit pas sorti du cercle dans lequel il tourne. Il me semble que la vie actuelle avait de quoi tenter un talent aussi sûr, aussi profond que celui de M. Henri Leys. J’aurais voulu le voir quitter le harnais du moyen âge, ne fut-ce que pour un instant, et se prendre corps à corps avec les difficultés du temps présent. M. Meissonier l’a fait, et ne s’en est pas mal trouvé, il y a acquis plus de flexibilité ; M. Leys ne pourrait qu’y gagner.

Les onze tableaux qu’il expose aujourd’hui, et qui seuls sont de nature à donner une importance particulière à l’école de Belgique, ont tous, malgré une certaine similitude, des qualités supérieures. Nul ne sait grouper ses personnages comme M. Leys.