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princières bien plus que pour la religion, il disait : «… Si on les eust voulu employer aux conquestes estrangères, ils eussent nuls la guerre loin d’eux. C’a esté un grand malheur pour eux et pour toute la France… Les enfans pourront juger à qui il a tenu et quelle a esté la source des guerres civiles… Si la royne et monsieur l’admirai estoient en un cabinet et que feu monsieur le prince de Condé et monsieur de Guyse y fussent aussi, je leur ferois confesser qu’autre chose que la religion les a menés à faire entre-tuer trois cent mille hommes, et je ne sçay pas si nous sommes au bout… » C’est cette tuerie que la paix de Saint-Germain avait l’avantage de faire cesser, et, en la faisant cesser, elle laissait à la France le temps de respirer, à la royauté le temps de reprendre haleine, de refaire sa puissance morale et la puissance du pays par une politique réparatrice et nationale. Les protestans eux-mêmes s’y prêtaient volontiers, et c’était en ce moment la fortune de leur cause de se trouver liée à un intérêt patriotique, d’être une forte, un moyen de combinaisons efficaces contre l’ennemi extérieur. Méfians au lendemain de la paix, les protestans en étaient bientôt venus à s’apprivoiser. Ils commençaient à sortir de leurs places d’armes et à se mêler aux catholiques. Ils revenaient à la cour, où se préparait le mariage de la sœur du roi, Marguerite de Valois, avec Henri de Navarre. La France, avec cette élasticité qui est dans son génie et qui fait sa puissance, se relevait allègrement de ses blessures, et ces rudes soldats, protestans ou catholiques, qui dans dix ans de guerre n’avaient pu se détruire, formaient autour du trône un faisceau redoutable.

Que fallait-il de plus ? Compléter la fusion et discipliner des forces en leur assignant un grand but, en déployant le drapeau d’une entreprise nationale. Si la royauté se fût appelée Henri IV, l’œuvre se serait accomplie dès ce moment ; mais elle s’appelait Charles IX, et c’est dans une cour pleine de factions, pétrie de vices et d’intrigues, ombrageuse, violente et faible, que venait se débattre une politique dont on pourrait résumer ainsi les traits essentiels : aller au secours des insurgés de Hollande, s’entendre avec l’Angleterre, nouer amitié avec les princes protestans d’Allemagne, profiter de la mort prochaine du dernier des Jagellons pour mettre le duc d’Anjou sur le trône de Pologne et s’assurer au nord l’appui d’une nation guerrière, se servir de l’alliance de la Turquie contre l’Espagne, faire de la France le centre actif et prépondérant d’une Europe nouvelle.

L’œuvre était digne de la France, la royauté qui existait alors n’était pas digne de l’œuvre. Ce n’est pas que Charles IX lui-même ne ressentît par instant la fascination de ce rôle qui venait tenter