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entre la France et la Pologne. Le fameux projet conçu plus tard par Henri IV n’est autre chose que la réalisation de cette grande pensée interrompue par le poignard d’un sectaire ; mais l’idée n’appartenait pas à ce roi au génie cordial et sensé, elle courait dans les esprits depuis cinquante ans : elle naissait du sein même des guerres civiles où s’épuisait notre sang, elle naissait aussi de toute une situation européenne où l’Espagne, maîtresse de l’Italie, maîtresse des Pays-Bas, puissante en Allemagne, disposant presque de la France par ses alliés catholiques, intriguant en Angleterre, liguée avec le pape et Venise contre les Turcs, envahissait tout, menaçait tout, faisant de la religion elle-même la complice de sa prépondérance. Dans cette situation, combattre les réformés, c’était évidemment jouer le jeu de l’Espagne et servir l’Espagne, c’était enchaîner pour longtemps peut-être les destinées de la France, de telle sorte, on le voit bien, que nos intérêts intérieurs et nos intérêts extérieurs se confondaient étroitement dans cette nécessité d’une pacification libérale, prélude et gage de l’union avec toutes les forces de résistance en Europe. Il y eut un instant, une de ces heures qui ne se retrouvent qu’à de longs intervalles, où tout semblait se disposer pour le triomphe de cette politique. C’était entre la paix de Saint-Germain, en 1570, et le sinistre soubresaut de 1572. à ce moment, dit justement M. de Noailles, la France eut « l’accès ouvert aux faveurs suprêmes de la fortune » et fut près de toucher à la grandeur : période courte et obscure, sur laquelle on s’arrête peu parce qu’elle fut stérile, mais où tout fut suspendu à un fil. Il y a eu bien d’autres momens, et dans des circonstances qui n’étaient pas absolument différentes, où la destinée de la France n’a été suspendue qu’à un fil[1].

La paix de Saint-Germain n’était-elle qu’une tromperie préméditée, une trêve menteuse accordée aux protestans pour arriver à les frapper d’un seul coup et plus sûrement ? Elle était du moins la victoire d’une pensée française ; elle avait pour le moment l’avantage de mettre un intérêt français au-dessus des passions remuantes du temps, et il ne faut pas croire que les cœurs les plus durs, les plus bronzés au feu des batailles, fussent insensibles aux bienfaits de la paix intérieure. Montluc lui-même, le rude combattant catholique, parlait quelquefois avec amertume de l’implacable besogne où il ne s’épargnait guère, et, en songeant à tant de vaillans capitaines dévorés par les luttes, civiles pour des ambitions

  1. On peut voir aussi sur ce sujet un livre récent intitulé : les Valois, les Guises et Philippe II, où l’auteur, M. Joseph de Croze, trace avec talent et savoir l’histoire de cette époque en se servant de la correspondance inédite des princes de Lorraine.