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affaires du roi d’Espagne, inopinément et quasi en un clin d’œil relevées en une incrédible prospérité. » Chez tous, il y avait le sentiment de cette coupable déviation de politique qui arrêtait brusquement le mouvement de la France vers sa frontière de Flandre.

L’effet fut bien plus grand encore en Pologne, où les réformés étaient nombreux, influens, et où le nom de Coligny était entouré de prestige. Au premier bruit du massacre, ce fut une émotion extraordinaire ; on se transmettait les récits de la sanglante tragédie. « Les dames, selon un des témoins en parloient avec telle effusion de larmes comme si elles eussent été présentes à l’exécution. » La candidature du duc d’Anjou était à peine posée depuis vingt-quatre heures, quand la sinistre nouvelle éclata. Tout audacieux et rusé qu’il fût, l’évêque de Valence se trouva subitement déconcerté, et il voyait déjà toutes ses espérances ruinées. Dès le premier moment, il écrivait au secrétaire d’état Brulart, chargé des affaires de Pologne : « Par la lettre que je fais au roi, vous entendrez comment ce malheureux vent qui est venu de France a coulé le navire que nous avions jà conduit à l’entrée du port. Vous pouvez penser comment celui qui en avoit la charge a l’occasion d’être à jamais content quand il voit que par la faute d’autrui il perd le fruit de ses labeurs… » Et à la fin d’une autre lettre il ajoutait plus familièrement : « Au diable soit la cause qui de tant de maux est cause, et qui d’un bon roy et humain, s’il en fut jamais, l’on contraint de mettre la main au sang, qui est un morceau si friand que jamais prince n’en tasta qu’il n’y voulût revenir… Quant est à moi, je n’ai pas loysir de prier encore qu’en cette saison il y eust du tonnerre, car j’ay cinq cents dogues attitrés à me mordre, qui abboyent jour et nuit, et fault que je réponde à tous… »

La : position était critique en effet pour un négociateur, et ces « dogues attitrés à mordre, » c’étaient tous les adversaires du duc d’Anjou, tous les fauteurs et les partisans des autres candidatures, qui exploitaient audacieusement l’émotion publique, qui représentaient le prince français avec « la face truculente, » assistant à l’horrible drame, « marry de ce que les exécuteurs n’estoient assez cruels. » Si l’élection se fût faite immédiatement sous la chaude impression des événemens de France, le duc d’Anjou eût été vaincu sans doute dans cette lutte, dont le prix était une couronne. Près d’un an se passa dans toutes ces agitations de diètes, de confédérations, de convocations, qui remplissaient la vie polonaise, et l’évêque de Valence eut besoin de toute sa dextérité, de toute sa rouerie diplomatique, pour remettre à flot ce navire dont il parlait. Il réussit, mais non sans peine, non sans être obligé de subir des conditions qui étaient une garantie, j’ajouterai une rançon de la criminelle