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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

à toutes les abominations, des voleurs et jusqu’à des violateurs de tombeaux, ont tout aussi bien que vous des vêtemens de soie ? Descendez donc des hauteurs fastueuses où vous fait monter l’enflure du cœur, et réfléchissez à votre bassesse, au néant de votre nature. Si fiers que vous soyez, vous n’êtes pourtant que des esclaves, les esclaves de vos vices. Vous ressemblez à quelqu’un qui serait battu tous les jours par ses valets dans sa maison, et se glorifierait, en marchant sur la place publique, d’avoir une foule d’hommes sous son obéissance et de commander à ses concitoyens. Je ne vous souhaite que de tenir de Dieu le droit de leur commander et même de vous attribuer raisonnablement quelque sorte d’égalité avec eux. »

Il suffit d’ouvrir les œuvres de Chrysostome pour voir avec quelle hardiesse de langage il attaquait parfois, à propos du mauvais riche, cette inégalité des conditions qui est le fondement de la société civile. On l’entendit un jour raconter en chaire l’anecdote suivante. « Le territoire de notre ville, disait- il, fut une fois frappé d’une grande sécheresse, les grains ensemencés ne pouvaient germer. Chacun suppliait Dieu de détourner le mal et de dissiper l’angoisse publique ; mais le mal continuait, et, suivant l’antique prédiction de Moïse, un ciel d’airain restait suspendu, immobile sur nos têtes. La famine approchait, on la voyait, on l’attendait, et avec elle la plus cruelle des morts. Le Dieu miséricordieux eut pitié de la ville, tout à coup le ciel d’airain s’amollit, des nuages s’amoncelèrent, et, s’entr’ouvrant soudain, laissèrent tomber la pluie avec tant d’abondance, qu’à sa vue toutes les poitrines haletaient de joie. Ivres de bonheur, les habitans se mirent à courir les rues comme des échappés de la mort. C’était une fête générale, des transports d’allégresse inexprimables. Au milieu de toutes ces joies, un homme cheminait triste, abattu et comme exténué sous le poids de quelque grande douleur. C’était un riche, un des plus opulens de la cité, et quand on lui demanda pourquoi seul il était triste dans le délire commun, il ne put garder au fond de son âme le sujet de sa peine, et de même qu’une maladie intérieure déborde et éclate au dehors dans le paroxysme de sa violence, la maladie de cet homme éclata hideuse à tous les yeux. — « J’avais amassé, dit-il, dix mille mesures de blé, et je ne sais pas ce que j’en ferai à cette heure. » Voilà quel était le sujet de son angoisse. Dites-moi, je vous prie, le bonheur de ce riche consistait-il à pouvoir tenir de tels discours pour lesquels il méritait d’être lapidé comme plus inhumain que les bêtes féroces et comme un ennemi public ? — Que fais-tu, misérable ? tu t’affliges de ce que tout le monde n’est pas ruiné, de ce que tu as perdu l’occasion d’amasser l’or que tu rêvais ! Ne sais-tu pas ce que Salomon a dit autrefois : « Celui qui fait renchérir le