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mais le seul qui, abordant le tyran dans son palais, lui dit : « Tu vis en état d’inceste avec cette femme, et Dieu te condamne par ma voix. » Avant lui, le grand Élie, qui possédait pour tout bien une peau de mouton, fût le seul à reprendre Achab, ce roi impie et criminel. Et qui peut donc donner cette hardiesse dans les périls, cette sainte résolution qui rend l’homme invincible devant le mal, parce que, dédaigneux de la vie présente, il ne fait nul état de la mort ? Un homme dans une disposition si généreuse, parce qu’il n’a rien et ne veut rien, peut rendre plus de services à l’église que les riches, les magistrats et les rois. Les riches et les rois ne sont rien que par leur puissance terrestre, et cette puissance est limitée. Un homme résolu qui brave la mort peut tout ce qu’il veut d’utile, d’extraordinaire, de grand, et comme le prix de l’or le cède à celui du sang, l’homme qui pense ainsi est incomparablement plus noble et plus grand que tous les riches ensemble. »

Personne ne se trompa sur la portée de ces paroles, dont l’allusion était claire. Jean admonestant Hérode, Élie condamnant les crimes d’Achab et les impiétés de Jézabel, c’était lui-même, et il avait ce courage parce qu’il était pauvre.

On peut se figurer l’effet de pareils discours descendant d’une bouche éloquente sur les masses populaires. Quand l’archevêque devait prêcher, principalement sur ces matières, les églises devenaient trop petites par le concours des auditeurs, et une telle presse se faisait autour de sa chaire épiscopale, qu’on y courait risque d’être étouffé. Cette raison l’engagea à la transporter, ainsi que je l’ai dit, des degrés de l’abside sur l’ambon, d’où la voix s’étendait partout des galeries à la nef. Plusieurs notaires ou tachigraphes recueillaient ses discours, que des applaudissemens enthousiastes interrompaient fréquemment, et s’il se plaignait de ces marques d’approbation mondaines qui changeaient la maison de Dieu en théâtre, les acclamations redoublaient au sein de ces foules immenses. Alors il se montrait ému malgré lui, et des larmes d’attendrissement humectaient ses yeux. Hors de l’église, la multitude lui faisait cortége, elle prenait en main sa sauvegarde, et plus d’une fois elle veilla aux portes de sa demeure quand elle crut sa vie menacée. Un jour qu’il avait reçu une de ces ovations populaires au retour d’un voyage dont nous parlerons plus tard, il disait au peuple dans un discours d’actions de grâces : « Je vous aime comme vous m’aimez. Que serais-je sans vous ? Vous êtes mon père, vous êtes ma mère, mes frères, mes enfans, vous m’êtes tout au monde. Je n’ai joie ni douleur qui ne soient vôtres, et quand un de vous périt, je péris. » Ce peuple ardent, enivré de sa vue et frémissant sous sa parole, n’était pourtant pas seul à se presser pour l’enten-