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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


dre. Il se mêlait à ses rangs des curieux, des espions, des ennemis qui couraient colporter les moindres allusions en les envenimant. La cour le traitait de factieux, et l’opinion se propageait dans le monde élégant de Constantinople que l’archevêque voulait la ruine des riches.

Ces scènes sont bien loin par le temps de celles de Saturninus et des Gracques, au fond ce sont les mêmes. La question du paupérisme agitera perpétuellement la société humaine jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un remède que nul n’aperçoit. Le christianisme avait imaginé un palliatif par la charité ; mais ce palliatif était un privilége des grandes âmes, et la société corrompue de Constantinople n’en comptait guère. De là cette puissance tribunitienne de Chrysostome, cet appel à Dieu dont il s’arma contre l’insensibilité et l’aveuglement des riches. Les temps changent ; les siècles, par le renouvellement des doctrines, amènent des formules nouvelles, mais les besoins sociaux changent peu : les passions, les devoirs, les périls, restent les mêmes. Si la formule d’une meilleure répartition du bien-être matériel entre les diverses classes de la société n’était plus ce qu’elle avait été dans les luttes des patriciens et des plébéiens au temps de Sp. Cassius et des Gracques, ni les besoins, ni les passions n’étaient éteints. Seulement Sp. Cassius et les Gracques auraient eu peine à reconnaître ici ces masses qu’ils agitaient et dont ils avaient été les idoles. Une église était aujourd’hui le forum, une chaire la tribune aux harangues, un évêque le tribun, et le dévouement du peuple pour ce patron parlant au nom de la charité n’était pas moindre qu’il ne l’avait été jadis pour ceux qui lui parlaient au nom de l’égalité des droits dans la république. Toutefois ce dévouement ardent, absolu, ne servit pas plus au tribun chrétien qu’aux prédicateurs des lois agraires. Un des chefs d’accusation portés contre Chrysostome devant les conciles qui le condamnèrent fut de soulever le peuple, à quoi les rancunes de la cour ajoutèrent le crime de lèse-majesté.

III.

Il ne faut pas prendre à la lettre ce mot d’un contemporain, que Chrysostome avait tout le clergé de Constantinople contre lui : il se trouva plus d’un juste dans Sodome ; mais c’étaient pour la plupart des gens timides qu’effarouchaient les clameurs du monde et dont la persécution seule dévoila l’héroïque fidélité, Dans le nombre, l’histoire nous signale le diacre Héraclide, attaché à la personne de l’archevêque et dont nous aurons bientôt à parler ; Proclus, introducteur aux audiences épiscopales ; Philippe l’ascète, maître des