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qu’un samedi matin, au moment où les évêques allaient passer dans la basilique, l’archevêque devant célébrer le saint sacrifice, un évêque étranger au synode, Eusébius de Valentinopolis, ville des montagnes de Gilbia, entra brusquement dans l’assemblée, tenant une requête à la main. « Il venait, disait-il, dénoncer les crimes commis en Asie par des évêques et demander au concile justice et répression ; » puis au milieu de l’étonnement général il déduisit les faits de sa requête.

Il accusait un évêque d’Asie :

1° D’avoir acheté à beaux deniers comptans son siége épiscopal et de vendre à son tour l’ordination aux évêques qu’il consacrait, afin de rentrer dans ses fonds. Son tarif était réglé d’après le revenu des évêchés dont il ordonnait les titulaires, et ceux-ci à leur tour se récupéraient en vendant le sacerdoce et les sacremens ;

2° D’avoir fait fondre des vases sacrés pour en donner l’argent à son fils, d’avoir ensuite enlevé de l’entrée du baptistère des marbres dont il avait paré son bain, puis d’avoir transporté dans son triclinium ou salle à manger des colonnes appartenant à l’église, et qui gisaient à terre depuis nombre d’années ;

3° Un autre fait de vol plus grave et plus impudent, c’était d’avoir aliéné à son profit des fermes léguées à l’église par Basilina, mère de l’empereur Julien ;

4° De garder près de lui comme son serviteur, sans l’avoir condamné au moins à la pénitence, un enfant coupable d’homicide ;

5° D’avoir repris sa femme, dont il s’était séparé au moment de son ordination et selon des engagemens solennels, de l’avoir rappelée près de lui, d’avoir cohabité avec elle et d’en avoir eu plusieurs enfans depuis son épiscopat.

« L’évêque dont je parle est ici, ajouta Eusébius d’une voix forte, le voici : c’est Antonin d’Éphèse ; ceux qui ont acheté de lui leur ordination sont également ici, et il nomma six autres évêques. Acheteurs et vendeurs du Saint-Esprit siégent côte à côte dans cette assemblée. » En prononçant ces paroles, il tendit à Chrysostome, qui présidait, la requête dans laquelle les faits étaient détaillés, la mise en accusation formulée ; mais celui-ci refusa de la recevoir. « Si tu as quelque raison d’inimitié contre Antonin et les autres que tu accuses, n’agis point dans la colère, lui dit-il, et n’attire point de scandale sur l’église. » Puis il chargea Paul d’Héraclée, qui semblait favorable à Antonin, de travailler à leur réconciliation. Levant alors la séance, Chrysostome passa dans la basilique, suivi des autres évêques du synode, donna la paix au peuple selon l’usage et s’assit dans l’abside entouré de ses collègues en attendant le moment du sacrifice.