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travail d’artiste, pleine de descriptions et de détails précis qui la vivifient au lieu de la ralentir. Évidemment le narrateur a pris à son œuvre le même intérêt qu’il inspire à ses lecteurs. C’est une petite épopée historique écrite par un compagnon de ses héros.

Ce fut à la même époque et dans ce qu’il appelait son ermitage de Bressuire que M. de Barante termina son Tableau littéraire de la France au dix-huitième siècle, travail qu’il méditait depuis quelque temps, et qu’après son échec à l’Académie il publia plus mûri et plus développé qu’il ne l’avait d’abord préparé.

Les ambitions remuantes ne sont pas toujours les seules qui réussissent, et les conduites sensées et dignes portent quelquefois leurs fruits sans qu’on y prenne autre peine. L’empereur Napoléon observait les hommes avec soin et savait se servir de ceux dont il estimait l’esprit et le caractère, même quand il ne comptait pas sur leur enthousiasme et leur complète docilité. « Au mois d’août 1808, dit M. de Barante, il traversa le département des Deux-Sèvres et s’arrêta à Niort ; je m’y rendis. Il me fit des questions presque toutes relatives aux Vendéens et parut content de mes réponses. Il sut que j’avais bien réussi dans ma sous-préfecture. Je ne lui demandai rien. M. Maret, qui l’accompagnait, lui donna à lire mon Tableau littéraire de la France au dix-huitième siècle, qui venait de paraître. Je doute beaucoup qu’il l’ait lu ; mais après l’avoir feuilleté il dit à M. Maret : « Il faut le faire préfet. » J’étais de retour à Bressuire à la fin de décembre 1808, et je me disais que, malgré les apparences, l’empereur avait contre moi quelque prévention malveillante. Je pensais à prendre mon parti et à donner ma démission, lorsque j’appris que le 13 février 1809 j’avais été nommé préfet de la Vendée. Peu de temps après, j’allai à Paris, et M. Maret me raconta que l’empereur lui avait dit ; — J’ai deux nominations importantes à faire ; j’ai besoin d’un secrétaire de mon cabinet et d’un préfet de la Vendée ; indiquez-moi deux auditeurs capables et sûrs. M. Maret lui dit que, parmi les auditeurs qu’il connaissait, MM. Mounier et Barante lui paraissaient les plus dignes de confiance ; l’empereur réfléchit un moment : — Eh bien ! dit-il, Mounier pour mon cabinet et Barante pour la Vendée. — J’avais vingt-six ans ; c’était avoir marché assez vite dans ma carrière sans avoir sacrifié ni mes opinions, ni mes amitiés. »

Le choix était bon et fut justifié par l’épreuve : pendant quatre ans, M. de Barante administra le département de la Vendée tranquillement, doucement, sans âpreté de pouvoir, sans murmure des administrés, exécutant ses instructions, souvent difficiles et tristes, à la satisfaction impériale et avec la reconnaissance populaire ; Il reçut d’une autre main que de celle des hommes la récompense de