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l’enfant sur ses genoux ; puis elle le conjura sur la tête de ce fils, rejeton du grand Théodose, de pardonner à Sévérien. Plusieurs fois elle répéta son adjuration à haute voix et la main étendue sur son enfant. Chrysostome étonné balançait ; la vue de cet enfant déjà auguste et qui aurait un jour besoin de pardonner le toucha sans doute, il pardonna.

Ce n’était pas tout du pardon de Chrysostome, il fallait encore celui du peuple, attaché à la cause de son évêque plus vivement que lui-même peut-être. En effet depuis le retour de Sévérien, il ne se passait pas de jour que des rixes parfois sanglantes ne montrassent la ferme volonté du peuple de faire respecter, vis-à-vis d’un traître et d’un usurpateur, l’honneur et le droit de son chef spirituel. Une de ces rixes avait même dégénéré en sédition, et Sévérien n’eût pas osé, sans péril pour sa vie, forcer l’entrée des églises qui lui étaient interdites et dont le peuple s’était constitué le gardien.

Ce dévouement absolu et presque fanatique créait pour Chrysostome une situation délicate. Il comprenait qu’il ne pouvait trahir des sentimens qui faisaient son orgueil et sa sécurité, et, tout en pardonnant, sur les instances du prince et d’Augusta, il avait dû songer à sa propre justification devant ses défenseurs et ses amis. Les hommes rudes et passionnés qui s’étaient compromis pour sa cause avaient besoin de savoir pourquoi il faisait la paix, et dans une affaire devenue commune entre eux, ils conservaient un droit d’approbation ou de blâme sur sa conduite ; ils pouvaient la condamner ou l’absoudre, Chrysostome le jugeait ainsi. Il voulut donc obtenir du peuple une réconciliation publique, à ses yeux du moins inséparable de la sienne. Alors eut lieu dans sa basilique épiscopale une de ces grandes scènes du forum chrétien qui jettent tant d’animation et d’éclat sur l’histoire ecclésiastique des premiers siècles. Du haut de sa chaire, il se présenta à l’auditoire pressé à ses côtés comme un ambassadeur qui propose la paix et veut qu’elle soit ratifiée. Par une faveur inappréciable du hasard, son discours, non compris dans le recueil de ses œuvres tel que nous l’avons aujourd’hui, a été retrouvé dans une ancienne traduction latine, ainsi que celui par lequel Sévérien vint à son tour devant le même auditoire demander merci. On verra par les ménagemens de langage et les timidités dont les paroles de Chrysostome sont empreintes à quel point ce peuple inflammable était ménagé par les chefs même de son choix, et combien dans cette sorte de démocratie religieuse fondée par Chrysostome à Constantinople le tribun avait à compter avec son forum.

« De même que le corps adhère à la tête, dit-il au début de son allocution, l’église adhère au prêtre et le peuple au prince. Comme aussi l’arbuste ne saurait se séparer de sa racine et le fleuve de