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PROSPER RANDOCE



SECONDE PARTIE[1].


IX.

La première chose que fit Didier fut de se procurer un exemplaire des Incendies de l’âme. Avant de s’embarquer pour cette contrée lointaine qui s’appelait Prosper Randoce, il était bien aise d’examiner un peu la carte du pays. Dès qu’il eut reçu le précieux volume, il se mit à l’étudier en conscience. C’était une macédoine, un salmigondis de morceaux fort disparates. Il y avait d’abord quelques pièces d’un romantisme échevelé, bariolées d’images, chamarrées d’hyperboles, très empâtées de couleurs. On y reconnaissait sans peine l’imitation maladroite d’un très grand poète qui n’a fait cadeau de son génie à personne. Comme leur maître, les courtisans d’Alexandre penchaient la tête à gauche ; mais Alexandre avait préalablement gagné la bataille d’Arbèles. Dans l’un de ces morceaux lyriques, l’auteur se peignait lui-même comme un homme au cœur fauve, au poil farouche. Somme toute, ce lyrisme était froid, grave défaut pour un incendie. Cependant il se rencontrait çà et là quelques heureux jets, quelques tirades d’une assez belle venue, des vers bien frappés, des images vives, saisissantes ; il semblait que l’émotion allait venir, on attendait quelque chose ; par malheur l’auteur se mettait aussitôt à gouailler. Il se hâtait de persifler sa passion, de plaisanter son attendrissement ; il tournait brusque-

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.