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PROSPER RANDOCE.


ment au turlupin, et tout finissait par une cabriole. En un mot, il se faisait le pompier de son incendie.

D’autres pièces du recueil étaient des essais dans le genre de l’orfèvrerie et de la bijouterie poétiques, de petits riens dont l’auteur cherchait à faire quelque chose, de la verroterie montée en similor. Ce genre convenait peu à la nature de son talent ; la pureté exquise de la forme y est de rigueur, et le style de Prosper Randoce était plein de bavochures ; il n’était pas né pour travailler au ciselet. Il était un peu plus chez lui dans la poésie physiologique, dont son volume offrait quelques échantillons. Un fragment intitulé Anatomies semblait avoir été écrit avec un bistouri ; il s’en exhalait une douce odeur d’amphithéâtre. Didier, il n’est pas besoin de le dire, goûtait peu les carabinades poétiques ; il estimait que la physiologie est une science fort utile, mais qu’il n’en faut pas faire une muse ; il n’admettait pas qu’on analysât le cœur humain comme on vide un abcès, la manche retroussée jusqu’au coude. On ne dispute pas des goûts ; en fait d’héroïnes, il préférait une Iris en l’air à une chienne en chaleur. Boileau disait : Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. Aujourd’hui on pourrait dire quelquefois : Ce ne sont que viscères.

Il n’y avait pas à s’y tromper : les Incendies n’étaient ni un chef d’œuvre ni une œuvre de génie. La vraie poésie est celle qui nous fait entendre la respiration d’une âme ; en lisant Prosper Randoce, on n’entendait que le trémoussement d’un cerveau qui s’évertue. Rien d’original sans sincérité ; ce qui est sincère est toujours neuf ; quiconque exprime ce qu’il a senti met sur le papier sa vie, qui n’est qu’à lui. Pour ne pas perdre toute espérance, Didier se disait que ce volume de vers était le coup d’essai d’un débutant encore incertain de sa vocation et qui s’éprouvait dans tous les genres pour découvrir à quoi il était bon. Avait-il fini par le savoir ? Cela n’était pas certain ; on ne se reconnaît que dans ce qu’on aime ; peut-être n’aimait-il rien. Il est des esprits qui battent l’estrade sans pouvoir se fixer nulle part, s’attachant aisément, se détachant de même, pareils à ces chiens vagabonds qui changent de maître chaque matin. L’idée que tu aimes, voilà ta vraie patrie ! Ces esprits errans sont les heimathloses de la pensée.

Et cependant l’auteur des Incendies n’était pas un homme nul ; ses défauts n’étaient pas chétifs, il avait les qualités physiques du talent, cette constitution robuste, cette vigueur de complexion qui n’est pas le génie, mais dont le génie ne peut se passer. Un Delacroix et un bon peintre d’enseignes ont cela de commun qu’ils sont l’un et l’autre des hommes de peine durs à la fatigue, ayant le goût un peu brutal de se colleter avec les difficultés. Évidemment