muse, une demi-muse s’est approchée de lui ; pour purifier l’air
infect et vicié qu’il respirait, elle a brûlé du romarin, de l’encens,
un peu de laurier, puis elle a souillé sur les .taies qui couvraient
sos yeux, et pour la première fois il a découvert dans le monde autre
chose que les fanges de son ruisseau natal… Mon père avait coutume de dire qu’on ne doit jamais désespérer d’un sacripant qui a
de l’imagination ; on ne sait tout ce qui lui passe par l’esprit. Ayant
le goût de rêver, il se peut qu’un beau jour il imagine de devenir un honnête homme… Je ne prétends pas, monsieur le notaire, que Randoce adore la vertu. À vous parler franc, sa moralité
me semble douteuse. Il est ballotté, tiraillé entre des puissances
contraires. Ses instincts luttent contre ses rêves, phalange contre
phalange : d’une part tout ce qu’il a hérité de son père adoptif,
certaine bassesse native, de fâcheux souvenirs, des calculs sordides, des appétits déréglés ; d’autre part ses ambitions littéraires,
des convoitises de gloire, le culte de la rime, de nobles fumées.
Pochon tire d’un côté, la poésie de l’autre. Qui sera le vainqueur ?..
Ce tiraillement perpétuel est un spectacle curieux, mais fatigant.
Je crois voir un ballon auquel est attaché une nacelle qui a plus
que sa charge. Le ballon veut monter ; si on le laissait faire, il irait
jusqu’aux étoiles, mais la nacelle résiste, le ramène en bas. Pour peu
qu’il se dégonfle, patatras ! tout tombera dans le ruisseau… Aider
Randoce à gonfler son ballon, c’est le meilleur service qu’on puisse
lui rendre. Et voilà pourquoi je ne souris point quand il m’annonce
que le Fils de Faust sera un événement, ou qu’il se vante d’avoir
refusé les trésors d’Artaxerce. Tout cela, c’est de l’hydrogène pour
notre aérostat.
« Mon cher monsieur Patru, vous avez une idée fixe. Vous tremblez que mon homme ne me mette à contribution. Je lui ouvrirais de bien bon cœur et ma bourse et mon coffre-fort, si je le voyais dans le besoin ; mais tranquillisez-vous. Il ne m’empruntera pas un sou. Il a rompu avec tous ses anciens amis : il tenait, disait-il, à faire peau neuve ; mais quand on a le goût de la tirade, on ne se peut passer d’un confident. Sa bonne étoile lui a fait rencontrer dans la personne de votre serviteur un honnête, un naïf quidam, qui ne se mêle point d’écrire, auquel il peut confier sans inquiétude ses projets et ses espérances, et devant qui son génie fait la roue, exercice éminemment hygiénique. Notre liaison lui plaît ; il en sent le prix. Je suis son écouteur d’office, il n’aurait garde de faire de moi son créancier, cela gâterait tout… »
En lisant cette lettre, M. Patru haussa plus d’une fois les épaules. Il répondit sur-le-champ : — « Exécutez religieusement les volontés de votre père. Si votre frère n’est pas dans la gêne, gardez-