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dans les récits du bulletin de la grande armée ou les notes du Moniteur. Les anciens amis de la liberté conservaient leurs méfiances et leurs opinions. Les rares partisans de la légitimité des Bourbons conservaient leur aversion et regardaient l’empire comme une phase de la révolution ; ils ne savaient ni juger, ni prévoir. La masse nationale s’enorgueillissait de cette grandeur éclatante de la patrie française, et se livrait à une admiration sincère de l’empereur ; mais elle commençait à détester la guerre, et par instinct elle désespérait d’en voir la fin. »

Quelques mois plus tard, le jeune intendant de Silésie, un peu suspect d’esprit indépendant et critique, portait dans son obscure sous-préfecture de Bressuire la même disposition avec la même franchise impartiale. J’ai déjà dit qu’il avait rencontré là une famille de propriétaires riches et honorés, légitimistes fidèles, mais tranquilles, étrangers à toute menée factieuse et empressés à vivre en bons rapports avec les honnêtes fonctionnaires de l’empire. « Il y eut bientôt, dit M. de Barante, entre M. et Mme de La Rochejaquelein et moi pleine confiance de part et d’autre. Mme de Donissan, mère de Mme de La Rochejaquelein, vivait avec eux ; elle avait été dame de Mme Victoire, fille de Louis XV, et elle avait vécu à Versailles ; sa fille y avait été élevée. L’une et l’autre étaient fidèles à leurs souvenirs et toutefois très raisonnables ; elles regrettaient le passé, mais elles racontaient les fautes qui avaient amené la révolution ; tout en respectant le roi, la reine et les princes, elles parlaient des scandales que la malveillance avait calomnieusement exagérés. Elles étaient loin de la pensée de s’attacher au régime nouveau, mais elles souhaitaient sans vraisemblance qu’il n’eût point de durée. Je me souviens de leur avoir dit un jour : « Je crois, comme vous, que l’empereur est destiné à se perdre ; il est enivré par ses victoires et la continuité de ses succès ; un jour viendra où il tentera l’impossible, et il se perdra… Alors vous reverrez les Bourbons ; mais ils connaissent si peu la France, ils feront tant de fautes qu’ils amèneront une nouvelle révolution. »

Pour un esprit depuis si longtemps si libre et si clairvoyant, la chute de l’empire et la restauration de-1814 ne pouvaient avoir rien d’étrange ni d’imprévu. M. de Barante les accepta sur-le-champ comme un événement nécessaire, et aussi comme un gage de liberté et de paix pour la France épuisée et compromise par le pouvoir absolu et la guerre. Sans nouvelles de Paris pendant quelques jours, il attendait avec anxiété l’issue de la crise, uniquement appliqué à maintenir à Nantes et dans le département l’ordre public et l’accord entre les diverses autorités locales, « Les Vendéens, dit-il, me préoccupaient fort ; je craignais qu’ils ne fissent quelque