Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évaluée à 1 milliard 1/2 de mètres cubes, seront remplis par l’eau de la Méditerranée. Dans un an, le seuil du Sérapéum, creusé à toute largeur et à une certaine profondeur au-dessous du niveau de la mer, sera ouvert : un énorme flot, pouvant atteindre dès l’origine 5 millions de mètres cubes par jour, se déversera dans les grands lacs ; cette eau viendra de la Méditerranée par la partie nord du canal maritime ; le lac Timsah, déjà plein, sera le régulateur de ce courant, dont la vitesse sera assez faible pour ne pas nuire aux travaux de la ligne. On estime que neuf mois suffiront pour transformer à son tour le bassin des grands lacs en une vaste mer intérieure, à laquelle les dragues viendront donner, sur la ligne balisée du chenal, la profondeur de 8 mètres qu’elle atteint à peu de chose près aujourd’hui.

Notre excursion nous mena jusque vers l’extrémité nord du seuil, dans le voisinage de ces petits lacs amers dont nous venons de parler. La hauteur du seuil se réduit progressivement, et le canal maritime, auquel on n’a donné dans les parties hautes des plateaux que la largeur primitivement fixée de 58 mètres à la surface des eaux, y est attaqué à 100 mètres de largeur, dimension qu’il conserve désormais sur la plus grande partie du parcours. Nous y vîmes un chantier d’Arabes ; infatigables lorsqu’ils sont employés à la tâche, ces hommes, grâce à leur rude nature, à leur habitude du climat, donnent les meilleurs résultats. Le nombre des terrassiers et ouvriers de toute espèce employés sur tout le parcours de l’isthme se réduit néanmoins progressivement à mesure que les dragages succèdent aux travaux de terrassement, et que la vapeur vient remplacer le bras de l’homme.

Les travaux allaient se terminer lorsque nous rentrâmes à Chalouf ; nous dînâmes à l’hôtellerie du lieu, puis à la tombée de la nuit nous reprîmes possession de notre dahabieh. 72 kilomètres nous restaient à faire avant d’arriver à Timsah ; le canal d’eau douce en effet, s’éloignant en ce point du tracé du canal maritime, contourne la berge des lacs amers par une courbe irrégulière et plus longue : trois écluses en élèvent successivement le niveau jusqu’à celui de la branche qui amène les eaux du Nil à Timsah.

Les nuits du désert, très froides pendant l’hiver, sont encore fraîches au mois de mars. Enveloppés dans nos manteaux, assis à l’avant de la barque, nous admirions la transparence et la pureté de l’atmosphère de ces déserts africains sans eau et sans végétation. A notre gauche, la montagne de Djebel-Geneffé, dont le canal côtoyait la base, détachait sur le ciel son profil dentelé, tandis qu’à droite nos yeux cherchaient en vain, dans les profondeurs de l’horizon, à saisir l’aspect de l’immense vallée des lacs amers. Noms passâmes sur le même point, quelques jours après, à l’heure où le