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soleil inondait le paysage d’une vive lumière. Au fond de la plaine, à laquelle le mirage donnait des lointains brumeux, des myriades de points noirs indiquaient le fond des lacs : nous apprîmes que ces points noirs étaient des fourrés de tamaris, et que cet arbre, réduit d’habitude aux dimensions d’un buisson, y atteignait des proportions remarquables. D’autres particularités signalent les lacs amers à la curiosité du voyageur : on y trouve d’énormes dépôts de sel atteignant quelquefois plusieurs mètres d’épaisseur[1]. Des eaux salées se cachent en certains endroits sous cette couche cristalline, et le pas du cheval y résonne comme s’il mettait en émoi des échos souterrains. Malheur aussi au promeneur imprudent qui s’aventurerait sans guide dans ces parages ! Il règne autour des lacs de longues zones de terrains mouvans où disparaîtraient, lentement ensevelis, cavaliers et montures. L’année 1868 ne s’achèvera pas probablement sans que les eaux mélangées des deux mers n’y soient venues créer une immense nappe d’eau. L’homme aura rendu à cette partie du désert l’aspect qu’il dut présenter à des âges antérieurs. Si la nature saline du fond n’en faisait foi, la preuve en serait dans les dépôts de coquilles identiques à celles qui vivent dans la Mer-Rouge et qui bordent la dépression sur tout le parcours.

Il nous fallait visiter, avant d’arriver à Timsah, les travaux du seuil du Sérapéum ; nous les examinâmes le matin. Le grand intérêt de cette visite consistait à voir sur le chantier, en plein fonctionnement, le système de dragage que l’on songe à installer à Chalouf : des dragues flottant dans une première tranchée, à 7 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans l’eau douce empruntée au canal. Laissant notre dahabieh continuer sa route sur le canal, nous suivîmes en embarcation la rigole qui a servi, il y a quatre mois, à amener ces eaux ; un kilomètre plus loin, nous débouchâmes dans le canal maritime. On nous fit monter sur la plate-forme d’une drague, d’où nous pûmes embrasser d’un coup d’œil toute la scène environnante. Le seuil du Sérapéum présente une particularité dont on a ingénieusement tiré parti pour les travaux. Il existe à la surface du plateau plusieurs dépressions peu profondes, mais assez étendues. Les travaux de terrassement à sec, poussés avec vigueur dans la dernière campagne, avaient amené à 2 mètres de profondeur tout le parcours du canal. Quand l’eau douce a été introduite le 12 novembre dernier dans cette tranchée ménagée sur une longueur de 6 kilomètres, elle a également pénétré dans les dépressions contiguës ; des lacs se sont ainsi formés

  1. Un bloc de sel retiré du fond des grands lacs amers a été envoyé à Paris, où il figure à l’exposition universelle.