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que l’Angleterre depuis dix ans n’a pas marché aussi rapidement en avant que les autres nations de l’Europe. Or c’est justement l’industrie des fers à Sheffield et à Birmingham, c’est-à-dire dans les lieux où les unions exercent un si grand empire, c’est cette précieuse industrie qui semble le plus menacée par la concurrence étrangère. Voilà des faits auxquels aucun Anglais ne saurait rester indifférent. Aussi sur certains points la réaction est-elle déjà manifeste, et dans les assemblées des unions on s’empresse de protester contre les crimes de Sheffield et d’en rejeter sur Broadhead et sur un petit nombre d’autres têtes toute la responsabilité. Malheureusement ces protestations, quelque sincères qu’elles soient, n’inspirent pas à tous une entière confiance, et pour rassurer les esprits les unionistes feraient mieux de renoncer une fois pour toutes au rattening et à ce système d’intimidation dont la grève des tailleurs fournit chaque jour de nouveaux exemples. Qu’ils perdent ces habitudes de violence auxquelles hier encore ils s’abandonnaient en déclarant dans une assemblée générale des délégués, tenue le 26 juin dernier sous la présidence de M. Potter, un des plus pieux et des plus modérés d’entre eux, que la manière dont le Times a rendu compte de l’affaire de Sheffield est un crime non moins infâme que les plus abominables crimes de Broadhead ! Parmi les plus heureux symptômes de réaction, il faut compter aussi les déclarations faites par le Daily-News et autres organes du radicalisme, de même que par la société réformiste de Paddington, à propos des troubles de Saint-Martin’s-Hall, dont la salle, occupée par une réunion de conservateurs, a été brutalement envahie par la populace.

Pour que le gouvernement par la majorité ne soit pas une fiction, il faut que cette majorité soit réelle, et que les 10 millions d’ouvriers libres n’obéissent pas aux 800,000 unionistes, enchaînés eux-mêmes par un pacte qui les asservit à une poignée d’obscurs despotes d’une intelligence douteuse ou d’une moralité suspecte, comme l’événement ne l’a que trop prouvé. Dans plusieurs villes de province, des associations libres commencent à se former ; c’est à protéger et à développer ce mouvement que doivent s’appliquer tous ceux qui aiment véritablement le peuple. En donnant la majorité aux ouvriers, on les a rendus par le fait prépondérans dans les élections et par suite maîtres éventuels des destinées du pays. Ils apprennent aujourd’hui par leur propre expérience que la liberté n’est fertile en grands résultats que lorsqu’elle est égale pour tous et s’exerce au profit de tous, — que les coteries, même très nombreuses, même composées de 800,000 individus, deviennent naturellement tyranniques, et traînent après elles la stérilité et la ruine.


M. COLLIN.