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chefs-d’œuvre que les contemporains nous vantent, avec tant d’enthousiasme, le peu que nous en avons suffit à nous apprendre que les peintres de la Grèce comprenaient à peu près le coloris comme nous. Entre ces fragmens de stuc coloriés et la plupart de nos tableaux pris au hasard, il y a peut-être, en ce qui concerne la technique de la peinture, de moindres disparates et un désaccord moins complet qu’entre certaines toiles de nos jours, toutes également modernes, mais provenant d’écoles différentes. A plus forte raison, lorsqu’il s’agit des lignes, nous sentons-nous d’accord et en intelligence avec l’antiquité. Nous pouvons bien ne pas saisir d’un œil aussi subtil, aussi prompt, aussi pénétrant que de véritables Grecs soit certaines proportions, certaines finesses de contours, certains mystères de la figure humaine, soit le nombre, l’harmonie, la justesse, le rhythme architectural : il nous faut un cordeau, des instrumens de précision, le témoignage d’hommes de l’art pour découvrir ce qu’à l’œil nu ces délicats pouvaient apercevoir, et par exemple la légère courbure, l’insensible inflexion ménagée volontairement dans le soubassement et dans toutes les parties horizontales du Parthénon et d’autres monumens de la grande époque, pour les mieux mettre en perspective, pour en rendre l’effet moins sec, plus souple et en quelque sorte plus vivant. Ces raffinemens suprêmes ont beau nous échapper, ce n’est de notre part qu’une infériorité relative, une question de degrés entre les Grecs et nous ; ils nous devancent, ils sont nos maîtres, mais nous sommes de leur école, nous acceptons leurs voies, nous suivons leurs préceptes, et quand je dis nous, je veux parler non-seulement des artistes soumis aux idées classiques, mais des fervens disciples du moyen âge. Si révoltés qu’ils croient être contre les lois de la plastique grecque, ils n’en suivent pas moins malgré eux, et comme à leur insu, les principales traditions. Le divorce n’est qu’apparent même entre les deux architectures : sous des effets antipathiques, vous retrouvez un fonds commun, et quant à la sculpture, les statues d’une vraie valeur que le moyen âge a produites sont conçues et exécutées, toute proportion gardée, de la même manière, dans le même sentiment de simplicité, de sobriété, de naturel, dans le même esprit, en un mot, que les chefs-d’œuvre du temps de Périclès. Il n’y a donc pas entre nos arts du dessin et ceux de l’école hellénique cette différence fondamentale et essentielle, cette contradiction de principe et de but, de moyen et d’effet, qui éclate entre certains peuples de race vraiment diverse, par exemple entre les Chinois et nous. Aussi n’est-ce pas merveille que la musique de la Chine soit l’antipode de la nôtre, qu’il y ait pour nous impuissance absolue d’en goûter, d’en comprendre une note ; les arts du dessin eux-mêmes participent, chez les Chinois, de cette dissemblance. Le prodigieux fini, la perfection désespérante qui nous étonnent et nous charment dans un grand nombre de leurs produits, la grâce toute particulière qui préside parfois à la