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aux prises. Même ardeur des deux parts et même sincérité. Dessewffy représentait la fidélité à de vénérables souvenirs, Széchenyi la claire intelligence des conditions du monde nouveau. Le Monde ! tel est le titre de l’ouvrage où le tribun, ripostant aux attaques de son contradicteur, reprend sa thèse avec une vigueur nouvelle. Il est si plein de ses idées, il voit si bien l’avenir préparé à sa patrie par la réforme du vieux droit, qu’il ne ménage plus rien. L’iconoclaste est sans pitié pour son ami d’autrefois. A travers les argumens que lui fournit la science, on entend siffler le sarcasme injurieux. Blessé, meurtri, le comte Dessewffy ne tarda guère à se retirer de la lutte. La déroute du vieux magyarisme avait commencé.

Peu de temps après, en 1833, le comte Széchenyi publiait un troisième manifeste intitulé Stadium. Le premier était une déclaration de guerre à l’ancien régime, le second une affirmation du droit nouveau ; qu’était celui-ci ? Le titre le laisse deviner sous sa forme bizarre ; un stade, un champ de courses est ouvert, c’est là que les lutteurs généreux doivent exercer leurs forces et remporter les prix. Partout ailleurs il n’y aurait que de vains efforts et des résultats stériles. L’attachement superstitieux des magnats aux institutions féodales se traduisait volontiers par cette formule : extra Hungariam non est vita. Széchenyi au contraire, enseignant à ses compatriotes la vertu de l’émulation, voulait leur inspirer le désir de tenir une place toujours agrandie au sein de la famille européenne. Or quelles étaient pour les Magyars les conditions à remplir, s’ils avaient enfin l’ambition de jouer un rôle dans le monde moderne ? À cette question, l’auteur de Stadium répondait par douze projets de lois, projets très étudiés, très pratiques, appropriés à la situation du pays, et dont les principes fondamentaux peuvent être réduits à ces termes : affranchissement du sol, liberté du travail, égalité civile. Tout l’arsenal-des vieilles lois du moyen âge était renversé comme une bastille. Plus de ces privilèges qui paralysaient le commerce et l’industrie, plus de ces contributions qui pesaient sur les mieux méritans. La loi de l’aviticité, comme on l’appelle, permettait à l’héritier, pendant un espace de trente-deux ans, d’annuler la vente consentie par ses auteurs et de reprendre le domaine patrimonial au simple prix d’achat, avec ou sans indemnités pour toutes les dépenses que l’acquéreur avait pu y faire ; la loi de fiscalité autorisait la confiscation ; la loi du maximum donnait le droit aux seigneurs de limiter le prix des denrées ; le seigneur étant le maître et par conséquent, disait la loi, le défenseur naturel de ses vassaux, il était interdit au paysan de choisir lui-même son avocat dans quelque procès que ce pût être, surtout,