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sagesse et à la situation du roi Louis-Philippe un hommage public, et il se donna la mesquine satisfaction de témoigner indirectement, par cet appel momentané du comte de Pahlen à Saint-Pétersbourg, l’humeur que jusque-là il n’avait eu garde de montrer.

Cet incident et ses conséquences sont trop connus pour que je m’y arrête ici plus longtemps ; je les ai déjà racontés avec détail et en en publiant les documens diplomatiques, d’abord dans cette Revue même, ensuite dans mes Mémoires[1]. Au moment où l’ambassadeur de Russie partit ainsi de Paris, M. de Barante s’y trouvait en congé pour trois mois ; je donnai sur-le-champ au premier secrétaire de l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg, M. Casimir Perier, qui le remplaçait momentanément, l’ordre de se tenir renfermé dans l’hôtel de l’ambassade le jour de la Saint-Nicolas[2] et de répondre à l’invitation qu’il recevrait sans doute, suivant l’usage, du comte de Nesselrode, en alléguant une indisposition. C’était rendre simplement, mais clairement, à l’empereur Nicolas le procédé qu’il venait d’avoir envers le roi Louis-Philippe. M. Casimir Perier exécuta mes instructions avec autant de dignité que de mesure. Le violent déplaisir qu’en ressentit l’empereur Nicolas et dont il imposa le joug à toute sa cour en lui interdisant, pendant plusieurs mois, toute relation sociale avec M. Casimir Perier et l’ambassade de France, ne dépassa point les strictes convenances diplomatiques ; mais, à partir de ce jour, tout en gardant l’un et l’autre le titre d’ambassadeurs, M. de Barante ne retourna plus en Russie, le comte de Pahlen ne revint plus à Paris, et de 1842 à 1848, malgré quelques indices du désir qu’on éprouvait à Saint-Pétersbourg de mettre fin à cette froideur officielle des deux cours, le cabinet français maintint l’attitude qu’il avait prise, et il n’y eut plus entre la France et la Russie que des chargés d’affaires.

Pendant ces six années de vacances involontaires, M. de Barante ne demeura point inactif : à l’époque des sessions, il prenait aux travaux de la chambre des pairs une part assidue ; il y était fort considéré et toujours prêt à donner à notre gouvernement un utile appui. Il passait presque tout le reste de l’année dans sa terre de Barante, s’occupant tour à tour des affaires locales de son pays natal, des établissemens d’instruction, de bien public et de charité chrétienne qu’il y fondait ou qu’il y soutenait, et entretenant avec moi une correspondance intime pleine de ses idées et de ses impressions agréables ou tristes, confiantes ou craintives, sur la situation de la France, de son gouvernement, du cabinet, sur ma

  1. Revue des Deux Mondes du 1er Janvier 1861, — Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. VI,. p. 335, 342 ; 489-524.
  2. Le 18 décembre selon le calendrier russe, le 6 selon le nôtre.