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propre situation et sur les bonnes ou mauvaises chances de la politique à laquelle nous étions l’un et l’autre voués et dévoués. À l’approche de la session de 1843, quand l’ébranlement de 1840 eut bien réellement cessé, il m’écrivait[1] : « Le calme dont nous jouissons continue et semble prendre un caractère naturel et plus que transitoire. Je ne me souviens guère d’avoir vu un moment où il y eût tant de repos dans les esprits, et je dirais presque de sécurité pour le lendemain. Vous n’en aurez pas moins à livrer bataille dans trois mois ; mais chaque jour passé tranquillement vous donne des chances meilleures. Une opposition qui ne sait pas quels seront ses points d’attaque voit nécessairement diminuer ses forces. Si vous franchissez cette session, vous aurez une grande et belle position. » Trois semaines plus tard, il était plus frappé des périls permanens de la situation : « Il y a, me disait-il[2], dans le gouvernement de ce pays une difficulté radicale, il a besoin de repos, il aime le statu quo, il tient à ses routines ; le soin des intérêts n’a rien de hasardeux ni de remuant. D’autre part, les esprits veulent être occupés et amusés, les imaginations ne veulent pas être ennuyées ; il leur souvient des révolutions et de l’empire. De ces deux dispositions, la première est plus réelle que la seconde ; M. Thiers lui-même ne s’y trompe pas, du moins sa raison sait cela à merveille ; je crois vous avoir dit qu’une fois il m’écrivait : « Je sais ce qu’il faut à la France, un ministère du cardinal de Fleury. » Vous devez donc vous réduire au plaisir patient et souvent sans gloire de mettre chaque jour un grain de sable dans le bassin de la balance que vous aurez jugé le meilleur ; ainsi vous ne ferez point de traité d’union douanière avec la Belgique, vous ne trancherez rien en Orient ; votre habileté ministérielle consistera à démontrer aux chambres et à l’opinion publique que c’est non point votre faute, mais la leur, et que personne ne pourrait plus que vous les pousser aux grandes choses. » Un an plus tard encore, après la visite de la reine Victoria au château d’Eu et le rétablissement décidé de nos bonnes relations avec l’Angleterre, son impression redevenait plus confiante : « Vous devez être content, m’écrivait-il[3], car il me paraît que le pays l’est aussi. Sans doute son bien-être ne lui donne ni conviction, ni affection, ni reconnaissance ; il est même en garde contre de tels sentimens, mais il est sciemment calme et s’applaudit de son repos. Comme vous dites, il n’y a là point de garanties d’une session facile ; la chambre représente assez bien l’état des opinions, et pourtant elle renferme d’autres ingrédiens,

  1. Le 9 octobre 1842.
  2. Le 27 octobre 1842.
  3. Le 7 novembre 1843.