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institutions, d’affermir notre liberté, je n’aurai fait que rejeter la patrie dans une servitude plus grande !

« — Alors, quand vous serez entièrement désabusé (et cette heure viendra, n’en doutez point, car le monde que vous vous êtes créé à vous-même n’a pas plus de réalité que les mirages de la fée Morgane), trouverez-vous dans votre cœur un seul sentiment de consolation ?… Ah, je vous le demande au nom sacré de la patrie, quittez le terrain périlleux de l’agitation ; renoncez, je vous en conjure, renoncez pour jamais à votre rôle de tribun. Vous refusez ? vous êtes décidé à aller jusqu’au bout ? en bien ! faites. Soulevez toutes les nationalités contre la nationalité hongroise, secouez la flamme des torches sur les toits de nos paysans, unissez contre vous tous les intérêts de la monarchie autrichienne, provoquez-les à une résistance furieuse et remplissez de votre poison la coupe de la vengeance ! Il se peut que sur cette voie la faveur populaire vous porte haut ; mais, quand vous reconnaîtrez, trop tard hélas ! qu’au lieu d’une action bienfaisante vous n’avez apporté parmi nous que la malédiction et la ruine, vous ne pourrez donner pour excuse que la nation entière a partagé vos illusions, que nulle voix loyale ne s’est élevée à temps pour interrompre ces rêves menteurs, que personne n’a eu le courage de vous tenir tête et n’y a employé toutes ses forces. »


A la véhémence de ce langage, à l’éclat sinistre de ces prédictions, on s’aperçoit aisément que des événemens décisifs se préparent ; l’orage n’est pas loin. Il ne faut pas dire que notre révolution de février a fait éclater la révolution de Hongrie ; la moindre circonstance analogue, une flamme, une étincelle, eût amené l’explosion inévitable. La sommation de Széchenyi, on le pense bien, n’a pas détourné Kossuth de son entreprise. La diète de 1847 va s’ouvrir ; l’éloquent tribun est élu député à Pesth. Puisque Széchenyi, si résigné d’abord à la perte de sa popularité, se trouve rappelé dans l’arène par l’imminence du danger prévu, il ne reculera pas devant la lutte. Il quitte son siège à la chambre des magnats et sollicite des électeurs un mandat à la chambre des députés, résolu à combattre jusqu’à la dernière extrémité la politique des agitateurs. Il veut provoquer Kossuth à une discussion solennelle. Assez longtemps les déclamations ont fait taire le bon sens politique ; il s’agit de prouver, pièces en main, que Kossuth, avec sa philanthropie décevante et son magyarisme arrogant, compromet à la fois et les réformes civiles et la restauration nationale. Les affaires industrielles où le rêveur enthousiaste avait engagé les finances du pays ne prêtaient que trop à la censure. Qu’avaient donc produit et l’association protectrice du travail et l’entreprise du port de Fiume ? Les amis de Kossuth eux-mêmes étaient forcés de convenir que C’était là un désastre. Celui-ci avait cru que du jour au