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l’espèce humaine tienne de sa nature la notion expresse, actuelle, de l’être infini et de l’être absolu ? Non, ceci est une notion savante, le résumé d’un travail dialectique qui n’est et ne sera jamais le produit du mouvement instinctif de la raison commune. Comment la Genèse aurait-elle été reçue des peuples, si elle avait dit : « Au commencement, l’absolu créa le ciel et la terre ? » Il est si peu vrai que l’être infini soit la dénomination la plus naturelle de l’être divin que celle-là eût été mal comprise de la plupart des philosophes de l’antiquité, presque tous attachés au dualisme éternel, et l’on peut voir dans le Philebe que ces mots, l’être infini, auraient désigné pour Platon le contraire même de Dieu, l’indétermination de la matière primitive, une sorte de chaos. L’infini en soi, dit également Plotin, est la matière ou l’essence du mal.

C’est donc la réflexion, c’est une méthode discursive qui a identifié le nom populaire de Dieu avec le nom scientifique d’être infini, et il se pourrait que de ces deux noms, le second signifiât quelque chose d’inconcevable sans que le premier cessât d’être la désignation de la plus vraie des réalités. Ce serait la science qui aurait tort et non la nature humaine.

Est-ce donc à la science qu’il faut s’en prendre, et doit-on contester cette qualification d’être infini ? Nullement ; mais on ne la doit admettre qu’avec certaines restrictions ou du moins certaines explications. La première, c’est que, s’il est permis ou plutôt prescrit par la raison de déclarer infinis les attributs divins, il peut être hasardeux de dire, presque comme une définition de sa nature, que Dieu est l’être infini.

L’idée d’infini en général est l’idée de ce qui n’a point de fin, de ce qui n’a de limites ni actuelles ni possibles, de l’illimité inconditionné, si l’on veut parler comme Hamilton, dont la doctrine a pris le nom de philosophie du conditionné. Ces définitions admises sans restrictions, vous aurez grand’peine en effet à empêcher Hamilton de dire qu’un être infini sort de tous les cadres de la pensée, et que d’une notion contradictoire résulte une existence impossible. Si vous laissez le maître et le disciple maintenir dans le langage théologique ce sens rigoureux du mot infini et répéter d’une manière absolue que Dieu est l’être infini, c’est-à-dire qu’il est infini en tant qu’être, on pourra leur demander ce que devient le fini. Il s’anéantit, ce que ne supportent ni la raison ni l’expérience, ou il s’absorbe en Dieu, ce qui mène au panthéisme, ou enfin il subsiste en dehors de Dieu, ce qui est la vérité ; mais alors Dieu est l’infini moins le fini, ou l’infini limité, ce qui implique contradiction. Encore une fois il ne peut être question d’exclure l’infinité de la notion de Dieu. Rien, par exemple, ne doit empêcher de dire que Dieu est l’intelligence infinie, ou qu’il est infini comme