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pénétrer, s’il était possible, dans la mystérieuse pensée des mourans. Lorsque leur vie tout entière n’a point porté témoignage de leur foi, on ne peut savoir avec assurance ce qu’auraient de profond et de durable les sentimens inspirés par l’émotion et la solennité des derniers jours. Ceux néanmoins qui ont vécu pendant le premier tiers de ce siècle et connu les hommes de la fin du précédent ont pu souvent constater quelles fortes traces avait laissées après elle la Profession de foi du vicaire savoyard. Les hommes de 89, qui apparemment ne nous étaient pas inférieurs pour la valeur morale, n’avaient guère d’autre symbole, et les réactions de tout genre qu’on prise si haut au sénat n’ont pas, que je sache, produit de générations supérieures aux amis de Turgot, de Malesherbes et de Lafayette. Si l’on cherchait à obtenir des témoignages plus positifs et plus directs de la disposition religieuse, des générations dont je parle, il faudrait entrer peut-être dans les prisons de la terreur et recueillir les paroles suprêmes des compagnons de captivité de Boucher et d’André Chénier. Au moins pouvons-nous interroger les derniers momens d’une classe ou d’une secte d’hommes qui, par leurs vertus et leurs fautes, leurs opinions et leurs passions, représentent avec la fidélité la plus vive l’esprit général de leur époque ; je veux parler des girondins. On doit n’attacher qu’un prix médiocre à l’anecdote douteuse de l’immortalité de l’âme mise aux voix dans leur dernier banquet ; mais d’autres souvenirs nous sont restés plus certains et plus éloquens.

M. Sainte-Beuve a déjà relevé ces mots saisissans, si étrangement altérés d’abord[1], que traçait Mme Roland en voyant la mort approcher : « Nature, ouvre ton sein. Dieu juste, reçois-moi. » Ces mots sont remarquables en effet, car ils contiennent à la fois et cette part nécessaire qu’une sévère raison ne peut s’empêcher de faire au naturalisme, et cette idée non moins nécessaire de la justice de Dieu qui est peut-être la meilleure preuve de la vie à venir. Mais on peut récuser comme une exception la femme supérieure qui vient enfin de nous être révélée dans la pureté stoïque d’une âme où s’unissaient la vertu et la passion. Je citerai donc un girondin moins célèbre, que des talens médiocres ne privaient d’aucun droit à la haute estime des autres proscrits du 31 mai. Salles était de ceux qui avaient espéré trouver à Bordeaux et aux environs le sûr asile que leur devait bien une patrie qu’ils avaient illustrée. Déçu dans son espérance, traqué de refuge en refuge, surpris enfin et traîné devant ses juges ou plutôt ses bourreaux, il adressait à sa femme une lettre admirable où se lisent ces mots : « Sois, s’il

  1. Les premiers éditeurs des Mémoires avaient supprimé le membre de phrase où Dieu est nommé.