Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phénomène naturel sujet aux lois du temps et de l’espace. Chez différens observateurs, le temps perdu n’est pas le même : l’un perçoit, réfléchit, agit plus vite que l’autre : affaire de tempérament et de disposition fortuite. Cela explique les différences qui ont été toujours constatées entre les astronomes qui avaient observé un même phénomène. Jamais, deux personnes n’ont vu le passage d’une étoile derrière un fil au même instant ; de plus la différence entre les instans notés, ou ce qu’on appelle l’équation personnelle de deux astronomes, varie plus ou moins selon les circonstances, et peut s’accroître ou diminuer avec le temps. L’éducation de l’observateur y est pour beaucoup ; M. Wolf a montré que le temps perdu peut être réduit à un minimum par l’exercice au moyen d’un appareil spécial.

Une conclusion importante découle forcément de ces expériences : le fluide nerveux n’est point identique au fluide électrique. L’électricité se propage dans les fils télégraphiques avec une rapidité inconcevable : elle devance de beaucoup la lumière ; elle va une vingtaine de millions de fois plus vite que l’agent nerveux. Il existe une autre différence capitale entre les deux agens. Toute altération de la structure des nerfs arrête la propagation du courant nerveux ; il suffit de les écraser, d’y faire une brûlure, pour interrompre la transmission du courant ; une fois coupés, ils ne recouvrent plus leur puissance conductrice quand on rapproche ensuite les extrémités séparées. Les fils métalliques au contraire conduisent l’électricité malgré toutes les avaries qu’on peut leur infliger. Néanmoins les célèbres travaux du professeur du Bois-Reymond démontrent clairement que l’électricité joue un rôle quelconque dans les phénomènes nerveux. Il existe naturellement des courans électriques dans les nerfs, et ces courans sont modifiés, influencés par l’action des courans nerveux. On peut donc admettre que les phénomènes nerveux sont le résultat d’une action secondaire de l’électricité qui produit dans la substance des nerfs certains changemens chimiques ou autres ; ils ne se manifestent qu’au bout d’un temps pendant lequel l’action augmente d’une manière lente et graduelle jusqu’à devenir sensible et à provoquer dés effets mécaniques. Ce côté de la question est encore entouré d’une obscurité impénétrable ; on en est réduit à des hypothèses plus ou moins plausibles. Toutefois on peut dire qu’un grand pas a été fait vers la solution du problème de la vie : les, expériences dont nous avons rendu compte en ont éclairé les abords et ont ramené la question sur le terrain de la science exacte. Bien du temps se passera sans doute avant que les progrès des méthodes d’observation permettent de faire un pas de plus vers le but, et rien ne nous autorise à croire qu’on puisse jamais l’atteindre complètement ; mais nous pouvons nous applaudir de ce qui a été déjà fait, car la précision des résultats obtenus a dépassé toute attente.

R. RADAU.