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combien elle l’est encore davantage pour ses vertus de famille et ses malheurs ! Veuve et mère, il suffit qu’elle se montre pour ranimer les sentimens chevaleresques fortement empreints dans l’âme des Anglais. On lui obéit d’autant plus volontiers qu’elle n’a point d’ordres à donner, et que la crainte n’entre pour rien dans les hommages rendus non à ses privilèges, mais à ses désirs ou à ses avis. Qu’elle sorte de sa retraite et de son silence pour déplorer certains accidens de chemins de fer ou pour réprouver des amusemens qui mettent en danger la vie humaine, et souvent ces notes, écrites d’un style simple, où l’on reconnaît le cœur de la femme, auront beaucoup plus d’influence sur les mœurs que des actes revêtus du sceau de l’état. Que peut-elle d’ailleurs en dehors de la loi et de la volonté de ses sujets ? Son droit de grâce s’exerce sous la responsabilité du ministre, qui est lui-même lié par les exigences de l’opinion publique. La constitution lui donne le droit de dissoudre la chambre des communes, et à la rigueur le pouvoir souverain n’est tenu de faire appel à une nouvelle chambre qu’au bout de trois années ; mais qui voterait alors les subsides ? En fait, les institutions anglaises ressemblent à un édifice dont la liberté formerait la base et dont la royauté serait le. couronnement.

Sous cette monarchie très limitée, c’est donc dans le pays lui-même qu’il nous faut chercher et étudier les sources de la vie politique. Je ne m’occuperai cette fois que des élections et de la chambre des communes. Ne sont-ce pas d’ailleurs les deux élémens qui assurent au mécanisme des institutions anglaises la vigueur et la durée ? Malgré le prix qu’attachent avec raison nos voisins à la forme de leur gouvernement, peut-être ne sont-ils point encore les meilleurs juges des avantages qu’ils en retirent. La liberté est aussi nécessaire à la vie d’un peuple que l’air respirable à celle des êtres organisés, et les nations ne s’aperçoivent guère de sa valeur que le jour où elles viennent à la perdre.


I

J’ai vu deux élections générales en Angleterre. La dernière eut lieu en 1865, au milieu de circonstances qu’il suffira de rappeler. Le parlement dont lord Palmerston avait été l’âme venait d’expirer, comme on dit, de mort naturelle. A l’extérieur, l’horizon politique était chargé d’orages. La Prusse, qui préludait dans l’ombre à des entreprises plus audacieuses et qui s’était montrée sourde aux menaces de lord John Russell, travaillait à humilier et démembrer le Danemark. La gigantesque lutte entre le sud et le nord de l’Amérique venait de se terminer par la chute de Richmond, mais après