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de voix, un sombre silence se répand comme un nuage dans la salle. Quelques zélés partisans restent ainsi toute la journée sur le qui-vive, tantôt debout, tantôt assis et prenant sur le pouce leur frugal repas. Les alternatives de joie et de tristesse, de crainte et d’espoir, se succèdent jusqu’à la clôture du poll. Tous les regards sont depuis quelques instans fixés sur les aiguilles de l’horloge, lorsque un émissaire apporte le bulletin définitif de la journée. Les chiens ne sont généralement point admis dans ces lieux de réunion ; par je ne sais quel hasard, il s’en trouvait pourtant un dans la salle du comité que j’ai en vue, et l’animal, excité sans doute par la force de l’exemple, mêla de joyeux aboiemens à l’immense clameur qui saluait le triomphe du candidat préféré. Comme les choses se passent autrement dans les endroits où les résultats du vote tournent décidément contre les vœux de la réunion ! Le vide se fait peu à peu, et le parti vaincu renonce le plus souvent à enregistrer le succès de ses adversaires. Aussi une liste inachevée pendue à l’entrée d’un club ou d’un comité est-elle, pour quiconque connaît les habitudes anglaises, un aveu de défaite.

Dans les petites villes, on peut durant la soirée juger des résultats de la lutte par la physionomie des cabarets ou public-houses. Les uns, ternes et obscurs, portent en quelque sorte le deuil de la journée, tandis que d’autres, tout éclatans de lumière et de joie, célèbrent à leur manière le triomphe de la cause qu’ils ont adoptée. Ne dirait-on pas en vérité que le succès a le pouvoir d’allumer les lustres ? Il fait tant de choses dans ce monde ! D’autres bourgs constatent par des signes encore plus bruyans le triomphe de l’opinion dominante ; les cloches sonnent, des bandes d’ouvriers parcourent les rues en soufflant dans des instrumens de cuivre, et les habitans se répandent sur les places et les promenades avec un air de fête. Le lendemain tout rentre dans le calme. Il n’en a point toujours été ainsi, et gardons-nous d’oublier que c’est la liberté laissée aux électeurs qui a éteint en Angleterre les animosités de la défaite. Dans le procès qui vient de s’instruire au grand jour et où tout le monde a eu la parole, c’est bien le pays, ou du moins la masse des votans, qui a été juge. Ceux que ne satisfont nullement les résultats du poll ont le droit de s’en prendre à la loi électorale, à la pression des influences aristocratiques, peut-être même dans certains cas à des manœuvres illicites ; mais il ne vient à l’esprit de personne l’idée de mettre en cause le gouvernement. Comment, par exemple, le succès de tel ou tel parti atteindrait-il la reine ? Étrangère à la lutte des opinions, elle n’a désigné ni favorisé même indirectement aucune candidature. Quels moyens a de son côté le ministère pour agir sur la volonté du pays ?