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douze ans, est jonché de ruines. Ce qu’on nommait le travail du magnan était une fête pour les campagnes de l’Ardèche, du Gard et de l’Hérault. Pendant six semaines environ, entre avril et mai, toute la population était littéralement sur pied : ce temps suffisait pour que le ver s’élevât, montât en bruyère et filât son cocon ; mais que de détails dans ces éducations, et comme les heures étaient bien remplies ! Point de limites fixes pour les journées ; à peine songeait-on au sommeil et au repos. On dînait debout, presque toujours de vivres froids, les soins de la cuisine auraient pris trop de temps. L’essentiel, c’était que le ver ne souffrît pas, qu’il fût délité après ses mues, qu’il eût de la feuille fraîche quatre fois par jour, qu’il trouvât, au moment venu, des branchages où il pût tisser à son gré sa dernière enveloppe. Tous les bras du ménage, forts ou faibles, y aidaient : les garçons dépouillaient les mûriers, les jeunes filles nettoyaient les claies ; chacun avait sa tâche, et toute autre activité semblait suspendue. La récolte faite, on portait les cocons sur le marché ; les cours s’établissaient, l’argent circulait, et l’aisance régnait à plusieurs lieues à la ronde. Tout s’en ressentait, le prix et le loyer des terres, le taux de la main-d’œuvre, le placement des denrées ; la soie animait, égayait, enrichissait le pays. Ainsi en était-il avant le fléau ; quel changement aujourd’hui et quel contraste !

Comment la soierie française n’en eût-elle pas été atteinte ? Les Cévennes, de temps immémorial, lui fournissaient son meilleur approvisionnement, et cet approvisionnement était devenu tout d’un coup incertain et suspect. Tout au moins fallait-il payer plus chèrement une soie plus médiocre. C’était là une véritable calamité, mais qu’y faire ? Guérir les vers indigènes ? Dix ans d’efforts, on l’a vu, n’y ont pas suffi ; il n’y avait donc, pour combler les vides, qu’à recourir aux soies étrangères. Naturellement on a dû songer d’abord à celles qui se rapprochaient le plus des nôtres par la nature et les procédés d’ouvraison. Les soies du nord de l’Italie étaient dès lors désignées, et ces belles plaines, siège de tant de filatures, eussent amplement pourvu à tous nos besoins, si le fléau ne les eût touchées presque à la même date que nous. Le dommage était le même, et la détresse a été commune : nul appui à attendre de ce côté. Cependant, à en juger par les produits exposés au Champ de Mars, le Piémont, la Lombardie et le Vénitien sembleraient être dans la voie d’une cure très franche, tandis qu’aucune apparence de ce genre ne se montre dans nos produits. Il est impossible de n’être pas frappé de la bonne figure que font les grèges, les organsins et les trames qui garnissent les vitrines italiennes ; Brescia, Novi, ont surtout des assortimens très complets. On dirait que ces soies,