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le filage, qui a lieu au milieu de vapeurs humides et chaudes et par de brusques changemens de température. Dans les grands établissemens, comme ceux qui entourent Lille et Armentières, cette insalubrité a pourtant disparu. Nulle part les ateliers ne réunissent à un plus haut degré la perfection des machines et les bonnes conditions d’aérage. On n’est pas mieux installé en Angleterre et en Écosse. La qualité des produits répond à la précision des instrumens : les toiles que notre Flandre expose sont des plus belles ; d’un autre côté, les Vosges et l’Anjou confirment leurs anciens titres par une nouvelle sanction. Dans l’ensemble, les toiles françaises ne le cèdent ni à celles de la Silésie et de la Saxe, ni à celles de Belfast et de Glasgow ; le grain des nôtres serait peut-être plus serré, l’échelle des finesses mieux réglée, le fil d’un calibre plus égal, et ce qui le témoigne, c’est que nous restons les maîtres à peu près exclusifs de notre marché ; on ne bat en retraite que devant les forts. Maintenant que dire des tissus inférieurs auxquels la disette du coton avait donné une notoriété éphémère ? Ils sont bien effacés déjà et ne méritent guère qu’on les sauve de l’oubli. A l’essai, aucun n’a tenu ce qu’on espérait. Le jute manque de souplesse, se teint mal et ne drape pas ; l’herbe de Chine est d’une nature si savonneuse que les mailles, glissant les unes sur les autres, n’acquièrent jamais de consistance ; les deux textiles sont jugés, presque condamnés. A quoi bon d’ailleurs courir de telles aventures quand on en est venu à produire industriellement et par masses des étoffes de laine ou de laine et coton à 60 centimes le mètre, des draps à 1 franc 75 centimes ? Chercher après cela des graminées et des fibres d’un emploi meilleur et moins coûteux n’est plus qu’une lubie de savant ou une gageure puérile.


IV

Voici encore une industrie où l’art met sa touche comme dans les tissus : c’est celle de l’ameublement. Elle relève à la fois de la sculpture et du dessin. Pour l’exécution, on peut être fier d’elle, on ne saurait l’être pour l’invention ; sa seule originalité consiste à changer de modèles et à promener l’imitation de siècle en siècle, au gré du goût régnant. Dans l’ébénisterie par exemple, jusqu’où cette manie n’est-elle pas allée ! Nous avons été un instant livrés à la lettre aux antiquaires. Un meuble n’avait de prix qu’à la condition d’être ancien ; s’il ne l’était, il devait du moins le paraître ; le neuf ne passait que sous ce déguisement. Singulière infirmité, et il n’est pas certain que nous en soyons bien guéris.