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idéale, car au-dessous de la surface elle décroît en proportion géométrique ; mais à 50 ou 100 mètres seulement les vagues sous-marines conservent encore une grande force, et l’on comprend que, lorsque des milliers et des millions d’entre elles sont arrêtées brusquement dans les anfractuosités des roches et sur les versans rapides des hauts-fonds, il doive se produire de violens remous qui reviennent ensuite en « lames sourdes » à la surface de l’eau. De là ces mers houleuses que les navires rencontrent parfois par un temps calme et surtout dans le voisinage des bancs sous-marins ; de là ces « lames de fond » qui, tout à fait inattendues, gonflent soudain la nappe des eaux et mettent les bâtimens en danger ; de là ces marées formidables qui jaillissent des profondeurs de l’océan et remontent brusquement la pente des rivages en détruisant tout ce qu’elles rencontrent sur leur chemin.

C’est aux assauts de ces vagues profondes que sont probablement dues en grande partie les brèches que creuse la mer dans les falaises des côtes et dans les remparts de défense élevés par les hommes. Les annales des ports nous offrent en foule des exemples de la force terrible que peuvent déployer les eaux projetées contre le rivage. Sur tous les ouvrages avancés que vient heurter la lame franche du large, à Portland, à Holyhead, à Kingston, à Cherbourg, à Biarritz, à Livourne, on a vu les vagues saisir des matériaux du poids de plusieurs tonnes et les lancer comme des jouets par-dessus les digues. A Barra-head, dans les Hébrides, Thomas Stephenson a constaté qu’un bloc de pierre de 43 tonnes avait été déplacé de plus de 1 mètre 1/2 par les brisans de tempête. A l’île de la Réunion, un bloc de pierre madréporique n’ayant pas moins de 390 mètres cubes a été détaché du récif et poussé par les flots dans la campagne comme une simple épave. Il est vrai que la pression de l’eau projetée contre la rive peut s’élever, ainsi que Stephenson l’a mesuré, à plus de 30 tonnes par mètre carré, soit à plus de 3 kilogrammes par centimètre. En outre les masses liquides qui se gonflent en une seule lame sont parfois de dimensions énormes. Les trombes d’eau qui dans les grandes tempêtes enveloppent en entier le phare d’Eddystone, et s’élancent jusqu’à 25 mètres au-dessus du fanal, ont au moins de 2 à 3,000 mètres cubes et pèsent autant qu’un puissant navire à trois ponts.

Cependant ces flots toujours agités ne donnent lieu qu’à de bien faibles déplacemens de la masse des eaux, puisque, en dépit de la vitesse apparente avec laquelle ils se propagent, ils ne sont autre chose qu’une oscillation de la surface marine analogue aux mouvemens d’une étoffe soulevée par le vent. Les petits courans de dérive produits dans un sens ou dans un autre par la marche des