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vagues sont de peu d’importance en comparaison de ces grands fleuves d’eau salée ayant des milliers de kilomètres en largeur, des centaines de mètres en profondeur, et coulant régulièrement de l’équateur au pôle ou du pôle à l’équateur à traversées bassins océaniques. De tout temps, les peuples navigateurs ont observé au large de leurs côtes la marche égale et continue de ces puissantes masses d’eau qui se portent toujours dans une même direction comme si elles allaient se déverser au fond de quelque gouffre ; nos ancêtres nous ont même transmis de siècle en siècle leurs connaissances à cet égard sous forme de légendes qui parlent d’écueils enchantés attirant les vaisseaux pour les rompre ou de monstres entraînant la mer dans leur sillage. Toutefois il était impossible de se faire une idée générale du circuit des eaux tant que l’océan n’avait pas été parcouru dans la plus grande partie de son étendue : c’est aux savans du XIXe siècle, appuyés sur les observations recueillies, qu’il était réservé de donner enfin la théorie des courans et de tracer sur la carte la direction approximative des remous qui tournent incessamment dans chaque mer pour y mélanger les masses liquides de toutes les régions de l’océan.

L’existence de ces grands tourbillons maritimes qui travaillent sans cesse à égaliser d’un pôle à l’autre pôle le niveau, la température et la salinité des eaux est un fait désormais incontestable ; mais quand il s’agit de préciser les détails, d’évaluer l’importance de ces fleuves de la mer, de marquer la vraie direction qu’ils suivent pendant les diverses saisons, d’indiquer nettement les parages où s’opèrent les croisemens entre deux courans contraires, là commence le doute, et l’on doit, vu le manque d’observations directes, chercher quelques indices qui permettent de s’approcher de la vérité par une voie détournée. Même le courant le mieux connu des géographes et des marins, ce gulfstream ou « courant du golfe » que découvrirent Ponce de Léon et Antonio de Alaminos il y a plus de trois siècles et demi, et que Franklin étudia scientifiquement dès l’année 1775, reste encore inexploré dans une grande partie de son cours, et l’on ne sait pas bien comment à ses deux extrémités s’opère le passage entre ses flots et ceux des autres courans. À la sortie du détroit de la Floride, le gulfstream est nettement limité par les côtes des îles Bahames et par les eaux froides qui lui servent de lit ; aussi a-t-on pu en mesurer la largeur, la profondeur et la vitesse, comme on l’eût fait pour une rivière continentale ; on a même tenté d’en évaluer le débit, et l’on a trouvé qu’il est en moyenne de 33 millions de mètres cubes par seconde, c’est-à-dire qu’il représente un volume d’eau vingt mille fois supérieur environ à celui du Rhône ou du Rhin. Plus au nord, le courant