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-là, on s’enquérait à Hiéron et dans les ports voisins de ce qu’était devenu Chrysostome, qu’on découvrit enfin dans sa villa de la campagne de Prénète. Surpris de ce revirement et toujours en soupçon de quelque embûche, tant il savait profonde la perversité de ses ennemis, l’archevêque hésitait à partir : l’arrivée de l’eunuque Brison le détermina. C’était, comme on l’a vu dans les récits précédens, le premier chambellan d’Augusta et un des secrétaires de l’empereur, homme d’ailleurs honnête et pieux, qui avait été blessé d’un coup de pierre à la tête dans une de ces contre-litanies opposées par Chrysostome aux ariens, et qui, bien qu’attaché à sa maîtresse, penchait secrètement pour l’archevêque. Ses explications dissipèrent tous les nuages, et Brison le persuada de le suivre. Ils virent en approchant de Constantinople l’entrée du Bosphore éclairée par des milliers de flambeaux portés sur des barques et par d’autres milliers encore qui garnissaient la rive et le port, car on était au milieu de la nuit, C’était une splendide réception que le peuple faisait à son évêque. Ce spectacle l’émut profondément.

Toutefois il ne voulut pas débarquer au port. « Évêque déposé, disait-il, je ne puis rentrer dans mon église qu’après avoir été légalement absous par un concile, » et il se fit conduire à un atterrage voisin du faubourg qui portait le nom de Marianes. L’impératrice eut beau le faire prier dans les termes les plus humbles et les plus pressans d’entrer dans la ville sans plus de retard par crainte de quelque nouveau trouble ; il s’obstina dans sa résolution. Le peuple termina le débat en l’allant chercher dans le faubourg de Marianes et en ramenant malgré ses résistances à la basilique épiscopale. Là on lui cria de monter sur le trône de l’évêque afin d’y prononcer la formule de paix, et comme il s’y refusait par les mêmes raisons qu’il s’efforçait vainement de faire comprendre, des hommes vigoureux le saisirent et l’y placèrent bon gré mal gré, tandis que la foule prosternée à terre lui demandait sa bénédiction. Que pouvait-il faire ? Il la donna, attendri jusqu’aux larmes. On voulut aussi entendre sa voix éloquente, comme pour bien s’assurer qu’il était là. Il monta à l’ambon, et les tachygraphes nous ont conservé quelques fragmens du discours qu’il improvisa. Il prit pour texte un récit de l’Ancien Testament dont il fit l’application à lui-même et aux événemens qui avaient ébranlé un moment son autorité épiscopale. « Nous lisons dans nos saints livres, disait-il, que Sara, femme d’Abraham, étant tombée aux mains de Pharaon, roi d’Égypte, qui voulait corrompre sa chasteté, un miracle la délivra et couvrit d’une protection céleste le juste Abraham, quand tout secours humain le trahissait. La même chose est arrivée à cette église, mon épouse, dont un Égyptien a voulu souiller la pureté. Un jour durant, elle est restée aux mains