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députation auprès d’Attila… « Nous n’oserions pas affirmer que cette érudition fut appréciée selon tout son mérite par des marchands et des moujiks qui n’avaient probablement jamais entendu parler du vieux Priscus, qui même, selon certains indices, n’avaient pas peut-être une notion, bien exacte de tout ce congrès auquel ils applaudissaient avec tant d’ensemble. A cet égard, il arrive parfois, aux feuilles russes de faire des confidences amusantes, et voici par exemple le dialogue populaire surpris par le Viést au milieu d’une foule assemblée et proclamant les députés slaves : « Eh bien ! est-ce qu’ils vont danser ? . — Quelle folie ! ce sont des musiciens[1] ! » C’est cependant le même peuple qui criait partout slava et jiviô, qui embrassait les « frères » avec des larmes de joie, et inventait les procédés les plus ingénieux, les plus raffinés, pour témoigner de son enthousiasme et de son dévouement à « l’idée ! .. » A leur arrivée à Saint-Pétersboug, MM. Palaçky et Rieger trouvèrent, un télégramme daté des bords de la mer d’Azov : le peuple de Marioupol leur souhaitait la bienvenue dans la capitale de l’empire !…

Le séjour de Saint-Pétersbourg (du 21 au 28 mai) fut, on s’en doute bien, une suite non interrompue d’ovations, de spectacles et d’enchantemens, à faire croire, à M. Militchévits, l’intéressant et « viril » Serbe du banquet de Varsovie, « que c’était un rêve. » Les « Slaves » étaient décidément les lions de la capitale, les dames de la cour en raffolaient, les marchands quittaient leurs boutiques pour les saluer à chaque passage, la foule assiégeait leur résidence, l’Hôtel de Bellevue, et rappelait sans cesse sur le balcon, « son Rieger et son Palaçky. » — « On montait l’escalier, on parcourait vite les cinq étages de l’hôtel, on entrait partout, on regardait un à un les Slaves, on redescendait dans la rue avec un air qui disait : j’ai vu ! et on s’éloignait ensuite après avoir accompli ce devoir d’adoration… » Ainsi s’exprime l’Invalide russe du 22 mai. Nous ne suivrons pas les députés dans leurs visites aux églises, aux monumens, « aux célèbres manuscrits d’Ostromir et de Zographos, » à l’Ermitage et au Palais d’Hiver (où ils restèrent quelques momens « recueillis et mélancoliques » dans la chambre mortuaire de l’empereur Nicolas), ni dans les innombrables concerts, soirées et festins donnés en leur honneur et accompagnés toujours de démonstrations bruyantes. Celle qui eut lieu au Grand-Théâtre dépassa, paraît-il, toutes les autres. On donnait la fameuse pièce Mourir pour le tsar, l’opéra favori de Nicolas, l’opéra officiel, et qui, depuis 1863, est devenu l’opéra populaire par excellence à cause des Polonais qui y sont massacrés dans un guet-apens. Les députés slaves assistaient dans les loges du premier rang, et les

  1. Le Viést de Saint-Pétersbourg du 17 juillet.