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de la Turquie et de l’Autriche, les conceptions de chaque semaine et les incidens de chaque jour prouvent surabondamment que la Russie ne compte pas avoir donné une représentation unique, qu’elle fait étudier et répéter les rôles pour les spectacles futurs, que l’œuvre ébauchée est poursuivie avec ardeur, et que la « grande idée » fait des conversions nombreuses. N’oublions pas non plus que de ce séjour des « Slaves étrangers » en Russie nous ne connaissons que la partie officielle, les discours prononcés aux banquets et dans les réunions publiques ; les pourparlers intimes, les conventions secrètes, nous échappent. Il est clair toutefois que les pieux pèlerins de Moscou sont rentrés dans leurs foyers chargés de reliques et avec une foi plus ardente que jamais dans le « céleste empire des tsars. » — « Nous sommes venus en Russie, a dit un de ces pèlerins, un Croate, un juge au tribunal d’Agram, M. Soubotits, nous sommes venus en Russie, et nous l’avons trouvée si grande que le nom d’empire ne lui suffit pas, mais qu’il faut plutôt l’appeler un monde entier ! Nous avons trouvé Saint-Pétersbourg et Moscou des villes sans pareille ; nous avons trouvé Cronstadt une forteresse sans pareille ; nous avons trouvé la nation russe grande comme aucune autre ne l’est dans l’univers, et nous avons trouvé parmi elle une affection sans pareille… » Un journal des Ruthènes de l’Autriche, un journal des campagnes[1], après avoir fait de la sainte Russie un tableau enchanteur, s’écrie : « C’est là qu’ont été nos députés chéris ! On se les est arrachés, on les a menés de maison en maison et de banquet en banquet, et partout sur leur passage on leur criait : hourrah, slava' ! et le batiouchka-tsar lui-même les a régalés chez lui, et la matouchka-tsaritsa (l’impératrice-mère), et le frère du tsar, le grand-duc Constantin, et les ministres, et les généraux, et les seigneurs boyards, les ont tous fêtés et se sont amusés avec eux comme en famille. Et ils nous ont promis des secours émargent, en livres et en tout pour que nous n’oubliions pas notre origine commune et leur gardions amour dans nos cœurs… » Le cabinet de Saint-Pétersbourg peut maintenant défier le monde de trouver des « agens russes » dans les pays du Danube et du Balkan : il en a désormais là-bas d’indigènes bien plus nombreux, bien plus précieux et bien plus libres de leurs mouvemens, beaucoup moins gênés, beaucoup moins gênans, sinon moins coûteux que les autres. Aussi l’action est-elle loin de chômer, et tandis qu’en Russie se forme un comité permanent pour les intérêts de l’unité slave sous les auspices du grand-duc Constantin, la proposition faite à Moscou par M. Rieger d’établir des

  1. Dla Hromad, supplément du journal Slovo (juillet).